Harry Earles (1902 – 1985)
Du haut de ses 11 ans, Kurt Schneider débute sur scène en Allemagne dans Hansel and Gretel (1914) avec sa sœur aînée Frieda. Ils sont repérés par un américain, Bert W. Earles, qui les produit à travers les États-Unis sous les noms de Harry et Gracie Earles.
Harry fait ses premiers pas au cinéma sous la direction de Tod Browning dans The Unholy Three (Le Club des trois, 1925) où il incarne le gangster Tweedledee. Rebelotte dans la version parlante de Jack Conway (1930). Habitué des studios, l’acteur a 14 films à son actif, et notamment une poignée de courts burlesques : on le voit dans la série des Our Gang (future Little Rascals) chez Hal Roach, en tête d’affiche chez William Beaudine dans le rôle d’un bébé (That’s My Baby en 1926), et souvent aux côtés de Laurel et Hardy. Mais sa filmographie compte presque autant de participations non créditées. Freaks lui offre le rôle le plus important de toute sa monstrueuse parade : Hans, le lilliputien, manipulé par la superbe trapéziste Cleopatra et son bien nommé Hercule qui convoitent la fortune dont il vient d’hériter… Harry Earles aurait lui-même suggéré à Tod Browning le livre de Tod Robbins, Spurs, dont le film est tiré.
Avec une taille de 99 cm et un accent germanique prononcé, il forme avec ses trois sœurs atteintes du même nanisme hypophysaire, dit proportionnel ou harmonieux, The Doll Family – alias The Dancing Dolls (à la mort de leur manager, la fratrie troque le patronyme de Earles contre celui de Doll). Après Freaks, son dernier vrai rôle, Harry vient gonfler le staff des Munchkins du Magicien d’Oz (1939) et préfère continuer à se consacrer aux tournées en famille. Les quatre frère et sœurs vivent et travaillent ensemble, avant de mener une retraite dorée en Floride dans la résidence construite à leur taille, à partir de 1958.
Daisy « Doll » Earles (1907 – 1980)
Née Hilda Schneider, Daisy Doll Earles arrive en Californie au début des années 20 pour rejoindre son frère Harry et sa sœur Gracie qui cartonnent dans le 101 Ranch Wild West Show. Surnommée the Midget Mae West, avec ses 104 cm de hauteur, Daisy fait sa première apparition à l’écran dans Freaks où elle interprète la bienveillante Frieda, écuyère lilliputienne fiancée à Hans qu’incarne son propre frère. Une prestation talentueuse qui reste sa seule contribution importante au cinéma, faute de rôles taillés à sa mesure. Elle figurera également dans Le Magicien d’Oz (1939) et Sous le plus grand chapiteau du monde (1952), sans être créditée. Chantant et dansant, elle tourne pendant près de 30 ans avec le cirque des Ringling Brothers, puis le Christiani Circus au sein du quatuor de la Doll Family.
Mariée brièvement à son chauffeur de taille normale, en 1942, elle se retire du spectacle à la fin des années 1950 et prend sa retraite sous le soleil de Floride avec ses inséparables frère et sœurs, dans leur mini villa, ouverte au public.
Tiny « Doll » Earles (1914 – 2004)
Dite Tiny Doll, Elly Annie Schneider est la plus petite de la fratrie avec 99 cm pour 21 kg. Elle arrive aux États-Unis en 1926 et tourne dans la foulée sous la direction de Fatty Arbuckle – qui tente de se faire oublier derrière la caméra, caché sous le pseudonyme de William Goodrich à la suite du scandale qui ruina sa carrière. C’est Special Delivery (L’As des P.T.T) avec Eddie Cantor, star de l’époque, et sans ses frères et sœurs. Née en 1914, la cadette de la famille figure aussi, non créditée, aux côtés de son frère Harry, dans Be Big ! (Drôles de bottes, 1931) avec Laurel et Hardy.
Tiny Doll intervient le temps d’un petit rôle dans Freaks sans apparaître au générique mais figure en bonne place sur plusieurs clichés de tournage pour faire la promotion du film. Elle joue encore une Munchkin du Magicien d’Oz (1939), tout comme sa sœur aînée Gracie Doll (1899 – 1970), la seule à ne pas avoir été castée pour la monstrueuse parade de Tod Browning. Une santé de fer, Tiny Doll a vécu jusqu’en 2004 dans la demeure acquise par la Doll Family à Sarasota.
Daisy et Violet Hilton (1908 - 1969)
Attachées par le bassin, jugées inopérables et promises à une mort précoce, les anglaises Daisy et Violet Hilton ont vécu une enfance sordide, le poids de la punition divine sur les épaules. Filles illégitimes d’une serveuse sans le sou, les sœurs siamoises sont vendues à la femme qui les a mis au monde en 1908 et les adopte dans l’optique d’une exploitation commerciale. Entre maltraitance et cours intensifs de chant, danse et musique, elle vivent dans un isolement total : pour les voir, il faut payer. Les jumelles conjointes font leur première tournée en Angleterre, âgées de trois ans, avant l’Allemagne, l’Australie et l’Amérique, accompagnées d’un père adoptif qui abuse d’elles. Violées, spoliées, les charmantes sœurs Hilton passent des cirques ambulants aux scènes de music-hall et triomphent aux États-Unis avec une revue jazzy. Multi-instrumentistes, elles partagent aussi un numéro de claquettes avec un Bob Hope débutant. En 1931, un avocat réussi à leur rendre leur liberté, copieux dommages et intérêts à la clef. C’est le début d’une vie de patachon. Violet et Daisy fréquentent le gratin et il est de bon ton pour les stars hollywoodiennes de se faire photographier en leur compagnie. L’illusionniste Harry Houdini les prend sous son aile et leur apprend à se séparer mentalement quand l’une est avec un homme. Du roi de l’évasion, Daisy dira : « Si nous pouvions choisir notre père, nous choisirions Harry Houdini ».
Lorsqu’elles tournent sous la direction de Tod Browning, cinéaste déjà réputé, les sœurs siamoises pensent à une nouvelle carrière à l’écran. Elles font figure d’élite au sein du casting de Freaks, mais ça n’empêche pas, si l’on en croit la légende, Francis Scott Fitzgerald, qui œuvre alors à la MGM, de vomir à leur vue. Chez Tod Browning, Daisy est mariée au clown bègue, Violet fiancée au propriétaire du cirque. Et lorsque l’une embrasse, l’autre prend du plaisir aussi. Un phénomène démenti par les intéressées dans la vraie vie, assez loquaces sur le sujet qui fait les choux gras de la presse. Vingt ans plus tard, on retrouve les jumelles à l’honneur dans un second film, du côté du cinéma d’exploitation, tendance Film Noir. Autour du procès de l’une qui a tué l’infâme mari de l’autre, Chained for Life (Harry Fraser, 1952) s’inspire de l’histoire des sœurs Hilton et promet surtout de dévoiler leur vie privée. La tagline du film donne le ton : « What happens in their intimate moment ? » L’Amour parmi les monstres, en VF, raconte sous forme de flashbacks la tentative de l’une d’obtenir en vain une licence de mariage, et le mariage publicitaire arrangé de l’autre. Un écho aux vaines tentatives de la véritable Violet, d’épouser un musicien (21 états ayant refusé la licence aux fiancés) et à son mariage arrangé à des fins promotionnelles avec un danseur en 1936. La même année, Daisy avait accouché d’un enfant de père inconnu – abandonné à la naissance – avant d’épouser un autre danseur le temps d’un petit mois de mariage en 1941. Abandonnées par leur manager après le flop de Chained for Life, dans lequel elles avaient investi leurs économies, Daisy et Violet vendent des hot-dogs au « Hilton Sister’s Snack Bar » qu’elles ont ouvert à Miami. L’une brune et l’autre blonde, les deux sœurs s’exhibent encore avec des effeuillages burlesques sur la scène d’un cabaret de Cincinnati avant de sombrer dans l’obscurité et la misère. Leur dernier job : caissières dans une épicerie de Caroline du Nord, comme leur mère naturelle. En 1969, elles sont retrouvées mortes à leur domicile, frappées par la grippe asiatique. Daisy serait morte deux jours avant Violet qui aurait supplié sa patronne de ne pas appeler le médecin. Elle aurait pourtant pu être sauvée. Ne partageant aucun organe, les sœurs siamoises savaient que la chirurgie aurait finalement permis de les séparer, mais avaient refusé l’opération préférant rester ensemble. Un destin loin de celui des sœurs héritières du même nom que Leslie Zemeckis, épouse de Robert, retrace dans son documentaire Bound By Flesh (2012).
Josephine Joseph (1891 – 1966)
« Half Woman. Half Man. The most sensation freak of nature. Brother and sister in one body. » Ainsi se présente Josephine Joseph quelques années avant de rejoindre le casting de Freaks (1932). Un nom de scène parfait pour une créature qui affirme être hermaphrodite, tout en préférant le terme intersexué(e) qui va comme va comme un gant avec son personnage. Le corps coupé en deux, en plein milieu, Josephine Joseph est littéralement à moitié femme, à moitié homme. Une représentation caricaturale de l’hermaphrodisme accentuée par son costume de scène 2 en 1 et son maquillage. Chevelure ramenée d’un côté pour un effet court-long asymétrique, Josephine Joseph compte parmi les faux freaks qui fleurissent à l’époque où la science s’empare des vrais – devenant des objets d’étude qu’on ne voit plus que dans les livres – et où leur exhibition est considérée comme cruelle. Un rôle de composition, alors très tendance et souvent tenu par des hommes qui font de la musculation d’un côté et s’épilent de l’autre. D’où, chez Josephine, un bras droit plus long que le gauche et une légère claudication que n’arrange pas le port d’une seule chaussure à talon. Exception qui confirme la règle, Josephine Joseph serait une femme même si un flou artistique règne autour de son identité, à commencer par des dates de naissances diverses et variées, qui ne coïncident pas toujours avec son âge dans Freaks, où l’on voit bien qu’elle n’a plus 20 ans. Née en Autriche et mariée à son manager américain, cette merveille de la nature œuvre en 1927 pour le Big Circus Side Show au Rajah Theater en Pennsylvanie. On retrouve aussi sa trace en Grande-Bretagne, rubrique faits divers, à propos d’une affaire rapportée par des journaux locaux comme un cas parmi tant d’autres de ces freaks artificiels incarnant Adam et Eve dans le même corps. Accusée d’escroquerie, Joséphine comparaît en 1930 avec son mari, devant les magistrats de Blackpool, sorte de Coney Island du nord-ouest de l’Angleterre où le couple propose son spectacle parmi des attractions du même genre. Imposture ? Il est stipulé que Madame Josephine Waas possède une voix masculine et une voix féminine mais refuse de se soumettre à un examen médical pour prouver son hermaphrodisme. Les époux quittent le pays immédiatement après leur procès. Et le public anglais n’aura pas l’occasion de voir Josephine Joseph en vedette dans Freaks, interdit au Royaume-Uni pendant 30 ans. Cet unique rôle au cinéma en fait la plus célèbre du genre, aux côtés des Albert Alberta, Esther Lester et autres Roberta Ray. Josephine n’a que quelques lignes mais apparaît dans plusieurs scènes, notamment au moment du banquet : c’est elle qui commence à entonner le fameux chant : « We accept her, we accept her. One of us, one of us. ». Et quand Josephine Joseph fait de l’œil à Hercule, le clown bègue note : « I think she, she likes you…but he don’t! »
Schlitze « Schlitzie » Surtees (1901 – 1971)
Né microcéphale au début du siècle dernier dans une famille aisé, Schlitze « Schlitzie » Surtees est l’un des plus célèbres phénomènes de foire qui œuvrent dans les sideshows sous l’appellation de « pinheads ». Ces « têtes d’épingle » doivent leur nom à la forme conique de leur crâne anormalement petit, accentuée par la même coupe ridicule qui ajoute une touche bizarre à leur physionomie. Malgré ses tenues de fillettes, Schlitze est un homme qui s’appellerait Simon Metz. La rumeur veut qu’il soit vêtu en robe ample pour des questions pratiques liées à une incontinence qui lui imposait le port de couches. Réputé coquet dans la vraie vie, Schlitze aurait particulièrement apprécié les muumuu, longue tunique hawaiienne aux imprimés fleuris dans lequel il pose sur cette photo promotionnelle de la MGM. Dans Freaks, sa nouvelle robe lui vaut les compliments de Phroso le clown qui lui promet aussi de lui offrir un nouveau chapeau.
Les bios édulcorées qui accompagnent ses spectacles laissent sa véritable identité dans l’ombre et lui attribuent des origines variées. Barnum l’exhibe sous le nom de « Maggie, la dernière des Aztèques », un emploi répandu chez les pinheads, depuis le début du siècle. Parfois présenté comme androgyne, chaînon manquant voire créature venue d’une autre planète, Schlitzie s’est aussi fait connaître sous les noms de « The Monkey Girl » et « The What Is It? ». La malformation congénitale dont il souffre entraîne souvent une débilité, un retard de croissance et des problèmes de vue. Myope comme une taupe, Schlitze n’échappe pas à la règle avec une taille adulte de 1,27 mètre et l’âge mental d’un enfant de trois ou quatre ans. Tout sourire, affectueux et attachant, Schlitze aurait adoré danser, chanter et se donner en spectacle à qui voulait. Malgré des troubles de l’élocution, audibles dans Freaks où son texte est difficilement compréhensible, Schlitzie est bon imitateur. Sur le plateau du film, il s’amuse à imiter la voix de Tod Browning. Son QI au dessus de la moyenne des microcéphales lui permet aussi d’exécuter des tours de magie.
Avant d’être casté par le cinéaste, Schlitze a déjà à son actif une apparition non créditée dans The Sideshow (Erle C. Kenton, 1928) qui retrace l’histoire d’un cirque. On le voit encore au cinéma deux mois après la sortie de Freaks dans L’île du docteur Moreau (Erle C. Kenton), interprétant un rôle au nom évocateur : « Furry manimal ». En 1934, Tomorrow’s Children (Crane Wilbur) lui offre son seul rôle d’homme. Il tourne encore en 1941 sous la direction de Robert Florey dans Meet Boston Blackie, comédie criminelle située à Coney Island, dans le rôle de Princess Betsy (Bird Woman), aux côtés de collègues freaks. En 1935, tandis que Schlitze a rejoint le Tom Mix Circus, George Surtees, son tuteur légal, dresseur de chimpanzés, l’adopte et lui donne son nom. Freak renommé, Schlitze « Schlitzie » Surtees aurait été bien traité tout au long de sa carrière dans les plus grands cirques. Placé dans un hôpital à la mort de son père adoptif, en 1965, Schlitze déprime et sa santé décline. Reconnu par un avaleur de sabre de passage et sur prescription médicale, il repart en tournée avec un promoteur canadien, allant parfois jusqu’à Hawaii ou Londres et parade régulièrement dans les rues d’Hollywood, quasiment jusqu’à sa mort à l’âge de 70 ans, des suites d’une pneumonie. Enterré anonymement en 1971, un fan organise en 2007, une collecte pour faire poser une plaque gravée sur sa tombe. Figure iconique de Freaks, Schlitze trône en bonne place sur les produits dérivés du film. En 1977, il inspirait encore un titre punk aux Ramones, Pinhead, et plus récemment, le personnage de Pepper dans la série American Horror Story qui a débuté en 2011.
Jennie Lee et Elvira Snow (1901 – 1934 / 1914 – 1976)
Elvira et Jenny Lee Snow travaillent également comme pinheads. Elles souffrent de la même microcéphalie congénitale que le célèbre Schlitzie, leur modèle. Même look, même chevelure rasée autour d’une queue de cheval pour augmenter l’effet conique du crâne, elles partagent avec lui plusieurs scènes de Freaks (1932). Supposées être tour à tour originaires du Yucatán, du Pérou ou d’Australie, Elvira et Jenny Lee sont en réalité toutes les deux nées au fin fond de la Georgie – la première en 1901, la seconde en 1914. Surnommées « The Pinhead Twins » ou « The Snow Twins », les sœurs auraient en fait eu près de treize ans d’écart. Elles sont exhibées sous les pseudonymes de « Pip et Flip », « Pipo et Zipo » ou « Zip et Pip », comme dans Freaks, où Elvira est créditée en tant que Zip, sans doute pour faire référence à un de leurs aînés pinhead, baptisé du même nom, et bénéficier de sa popularité. Comme toutes les « têtes d’épingle », les sœurs Snow présentent un retard mental dû à la diminution de leur boîte crânienne. Jenny Lee à l’intelligence d’un bébé de 18 mois, Elvira atteint le niveau d’un enfant de 5 ans. Nécessitant une surveillance et des soins constants, les sœurs possèdent une morphologie enfantine et ne dépassent pas 1,35 mètre. Leur innocence timide est immortalisée dans Freaks où elles cherchent protection dans les jupes de Madame Tetrallini qui les présente comme ses enfants. Principalement basées au World Circus Sideshow de Coney Island dans le quartier de Brooklyn à New York, les sœurs Snow se sont moins illustrées dans les spectacles itinérants. Elles y exercent de la fin des années 1920 jusqu’en 1941, où le show ferme la boutique, avec pour collègues d’autres membres du casting de Freaks, Prince Randian, le torse humain et Lady Olga, la femme à barbe. Au sommet de leur popularité, leur impresario Sam Wagner paie leur famille jusqu’à 75 $ par semaine, une grosse somme en cette époque de Grande Dépression… Leur frère, Cliff Snow, a également été leur manager. Jenny Lee meurt à peine deux ans après Freaks, en 1934, à seulement 20 ans. À sa mort, leur autre frère pinhead, Clayton Snow apparaît parfois en compagnie d’Elvira sous les noms de « Zippo & Flippo ». Dans cette fratrie de six enfants, nés de parents sans handicap, trois sont normaux, trois sont microcéphales. L’aînée des sœurs Snow est décédée en 1976 à l’âge de 75 ans.
Prince Randian (1871 – 1934)
Touché par un monstrueux syndrome nommé tétra-amélie, Prince Randian est né sans aucun membre dans la Guyane alors britannique de 1871. Sa maladie génétique extrêmement rare a fait de lui un phénomène de foire aussi exceptionnel que renommé, comme Violetta, populaire consœur née sans jambes ni bras pour les mêmes raisons. Malgré son pseudonyme, Prince Randian n’a aucun sang royal. Il est issu d’une famille d’esclaves indiens et son nom de naissance est resté inconnu. C’est P.T. Barnum en personne, qui l’amène aux États-Unis en 1889 à l’âge de 18 ans, accompagné de sa femme, normalement constituée. Connue sous le nom de Princesse Sarah, et d’origine indienne, elle pose en pied à côté de son mari trônant sur un piédestal à plusieurs reprises. Sa très longue chevelure contraste avec la taille réduite de son époux. Elle demeurera une épouse dévouée jusqu’à sa mort. Le couple aura ensemble quatre filles et un fils, qui deviendra un temps le manager de son père. Prince Randian a beaucoup tourné durant une carrière de 45 ans et compte parmi les freaks les plus en vue du World Circus Sideshow de Coney Island. Hors-saison, la famille mène une vie paisible installée dans le New Jersey.
Dans Freaks, Prince Randian est crédité en tant que Rardion pour le rôle de « The Living Torso » (le torse vivant). Héritage des coquilles de programmes des shows, son nom est régulièrement mal orthographié (Rardion, Randien ou Randion). Il s’est également produit sous les appellations de « The Snake Man » (le serpent humain), « The Human Caterpillar » (La chenille humaine) et « The Human Worm » (Le ver humain), toujours vêtu d’une tenue faite d’une seule pièce qui accentue l’analogie avec ce bestiaire. Mais son handicap extrême n’empêche pas l’exécution de performances inimaginables pour le commun des mortels. Souvent porté par un assistant, Prince Randian reste capable de se déplacer seul, en rampant ou en roulant. Il pratique l’écriture et la peinture à l’aide de son menton et de son torse, bluffe le public en se rasant lui-même ou en roulant une cigarette avec sa bouche. Une prouesse filmée pour la postérité par Tod Browning dans Freaks, jusqu’à ce que Randian craque son allumette et lance un ironique, « Can you do anything with your eyebrows? » à un des acrobates du cirque… Fier d’avoir conçu la boîte en bois dans laquelle il gardait les accessoires de son spectacle, déco et serrure incluses, Prince Randian se serait plu à dire qu’il se construirait un jour sa propre maison. Réputé pour son grand esprit, sa force de caractère et son sens de l’humour, il était aussi très doué en langues, parlant hindi, anglais, allemand et français. Quand il rejoint le casting de Freaks, Prince Randian est en fin de carrière. Il meurt d’une crise cardiaque deux ans après, en décembre 1934, âgé de 63 ans, peu après avoir fait sa dernière représentation au 14th Street Museum de Sam Wagner à New York.
Lady Olga Roderick (1871 ou 1874 ou 1877 – 1951)
Née Jane Barnell à une date restée obscure, la plus célèbre des femmes à barbe qui fleurissent dans les cirques américains n’a pas eu une enfance facile. Barbue à 4 ans, sa mère indienne Catawba la pense ensorcelée et l’abandonne à une troupe itinérante alors que son père est en voyage d’affaires… « Je n’ai jamais pu savoir si Maman m’avait laissée contre de l’argent ou si elle m’avait tout simplement donné pour se débarrasser de moi. Elle me détestait, je le sais. Papa m’a dit des années plus tard qu’il lui avait donné une bonne raclée en rentrant de Baltimore et qu’il avait découvert ce qui s’était passé » dira-t-elle. Laissée pour morte dans un hôpital berlinois après avoir contracté la fièvre typhoïde, son père finira par la retrouver dans un orphelinat et la ramènera sur sa terre natale, en Caroline du Nord. À 21 ans, alors qu’elle travaille dans la ferme de sa grand-mère, un Hercule saisonnier à ses heures la convainc de remiser son rasoir pour tirer parti de son hirsutisme. Assumant pleinement ce symptôme pouvant être lié à diverses maladies, Jane devient Olga Roderick alias Lady Olga ou Madame Olga, en français dans le texte. Elle aura une carrière bien remplie, se produisant dans au moins 25 cirques, parmi les plus fameux, et gagnant entre 20 et 100 $ par semaine. Elle interprète son dernier spectacle en 1938 pour les Ringling Brothers à New York mais continuera à faire des apparitions publiques jusqu’à sa mort, en 1951 à Los Angeles.
Sa pilosité masculine ne l’empêche pas de se marier quatre fois. Elle a deux enfants avec son premier époux, le dernier est un clown vétéran et bonimenteur. La pratique est courante dans les communautés de freaks où les mariages sont souvent arrangés pour créer l’événement, à grand renfort de publicité. Dans Freaks, Lady Olga est mariée à Peter Robinson, « The Skeleton Man », avec lequel sa forte corpulence contraste. Et tout le monde vient célébrer la naissance de leur enfant autour de la mère alitée. C’est une fille et elle est barbue…
Jane Barnell aurait eu une haute opinion d’elle-même et la réputation d’être mal aimable. Selon elle, le film de Tod Browning est « une insulte à tous les monstres du monde » et elle clamera haut et fort son regret d’avoir participé à l’entreprise, en jurant de ne plus jamais mettre les pieds à Hollywood. Promesse tenue, le film qui l’a fait entrer dans la légende restera son unique crédit.
Peter Robinson (1874 – 1947)
Surnommé « The Living Skeleton » ou « The Cigarette Fiend », Peter Robinson vit normalement jusqu’à l’adolescence où des problèmes de poids, dont on ignore la cause, se manifestent. Adulte, il pèse à peine 27 kilos pour un taille d’un 1,60 mètre.
De formation classique, il a brièvement tenté sa chance comme acteur shakespearien à Broadway avant de s’illustrer dès 1895 à Coney Island puis de faire partie du fameux Ringling Brothers – Barnum & Bailey Circus où il exerce pendant des années comme « Human Skeleton ». C’est dans ce rôle que Peter Robinson est crédité au générique de Freaks et c’est sa seule apparition à l’écran. Marié à la taciturne femme à barbe, interprétée par Olga Roderick, il distribue des cigares à ses collègues pour célébrer la naissance de leur fille. Le personnage, aimable et jovial, est taillé sur mesure.
Peter Robinson s’est marié deux fois à la ville avec des femmes obèses. Le squelette humain épouse Sweet Adaline la France, sa partenaire dans le Blue Ribbon Show en 1914. Elle pèse plus de 270 kilos contre ses 22 kilos d’alors. Trop imposante pour entrer dans la salle, le juge procède à la cérémonie dans le couloir. L’union ne durera pas longtemps. Sa seconde femme, Baby Bunny Smith, 212 kilos sur la balance, a plus de vingt ans d’écart avec lui. Ils se produisent ensemble au Dreamland de Coney Island. Peter Robinson lui passe la bague au doigt à plusieurs reprises, à des fins promotionnelles, entre 1916 et 1924. Le contraste physique entre l’atrophie musculaire de Monsieur et l’obésité morbide de Madame est saisissant. Les mariages arrangés entre freaks sont monnaie courante mais le couple restera uni pendant vingt-sept ans et aura deux enfants.
Peter Robinson aurait été friand de politique et excellent joueur d’harmonica. Tod Browning le montre aussi à l’œuvre dans son film, où Half boy, Angelino et les pinheads dansent en ronde au son de l’instrument. Il poursuivra sa carrière de freaks jusqu’à sa mort à 72 ans.
Frances O’Connor (1914 – 1982)
Frances Belle O’Connor est une des rares freaks à officier sous son vrai nom, même si elle laisse en route un deuxième prénom qui lui va comme un gant. Originaire du Minnesota, elle est née sans bras et exhibée dès l’âge de 8 ans avant de compter parmis les plus célèbres manchots du début du XXe siècle. Très bien faite par ailleurs, Frances est souvent présentée comme « La Vénus de Milo vivante », ravissant surnom au catalogue des pseudonymes de freaks. Avec sa mère comme manager, elle s’est produite dans divers cirques avant de s’installer chez Ringling Bros. and Barnum & Bailey Circus. Elle aurait exercé pendant plus de 20 ans jusqu’au milieu des années 1940, ne manquant jamais de signer des autographes à la fin du spectacle. Totalement autonome grâce à l’extraordinaire habileté de ses membres inférieurs, Frances O’Connor peut tout faire : fumer une cigarette, boire du café bouillant, manipuler des armes à feu ou simplement manger en se servant d’un couteau et d’une fourchette, non sans s’essuyer délicatement la bouche après, avec une grâce naturelle et une dextérité inégalable. Tod Browning la montre à l’œuvre dans Freaks où il fait la part belle aux scènes de la vie quotidienne.
En ces temps prudes, le show de Frances est l’occasion pour le public masculin de voir des épaules nues et une jolie paire de jambes, objets du spectacle, au même titre que les corps plus ou moins dénudés des femmes tatouées ou des hermaphrodites – avec la bénédiction de madame et parfois en compagnie des enfants. Connue pour être extravertie, Frances O’Connor croquait la vie à pleines dents sans jamais s’apitoyer sur son sort. Elle aurait laissé des centaines de prétendants dans son sillage et rejeté autant de propositions de mariage. Entièrement dévouée à sa mère, dont elle s’occupera jusqu’à sa mort, elle restera célibataire et n’aura pas d’enfants. Après la mort de sa mère, Frances préfère se retirer du show-business et se consacrer à ses passe-temps favoris, le tricot et la couture. Elle est décédée en 1982, âgée de 67 ans, en Californie, où elle menait une retraite paisible.
Martha Morris ( 1902 – 1937)
Moins gâtée par la nature que Frances O’Connor, Martha Morris est une autre femme sans bras tout aussi populaire. Surnommée « The Armless Wonder » (la merveille sans bras), elle compense l’absence de membres supérieurs par une utilisation exceptionnelle de ses pieds qui lui permettent d’assurer des gestes quotidiens comme boire ou manger. Excellente dessinatrice, elle pratique aussi avec une adresse sensationnelle tricot et couture et utilise la machine à écrire avec ses orteils, souvent parés de bagues. Des prouesses d’autant plus extraordinaires que ses jambes sont malformées et l’empêchent de marcher. Martha Morris est l’avant-dernière d’une fratrie de 8 enfants et la seule frappée par ces anomalies congénitales (notamment la phocomelia, maladie génétique caractérisée par l’absence totale ou partielle des segments intermédiaires, d’un ou de plusieurs membres, les mains ou les pieds pouvant s’insérer directement sur le tronc).
Sa carrière est exclusivement américaine. Elle fait sa première apparition publique en 1921, âgée de 17 ans, sous le nom de « Mlle Martha », au World’s Museum de Philadelphie. Elle apparaît également au Hubert’s Museum de Times Square l’année de son ouverture, avant de rejoindre le Ringling Bros. and Barnum & Bailey Circus, comme sa consœur, en 1926.
Cinéphile passionnée, Martha Morris est enchantée de tourner dans Freaks : elle y voit une occasion en or de croiser toutes sortes de stars dans les studios de la MGM sans se douter qu'elle sera finalement privée de cantine, comme la plupart de ses collègues freaks, pour ne pas heurter la sensibilité des employés de la MGM.... Elle s’exhibe encore à l’Exposition universelle de Chicago, sa ville natale, en 1933 et 1934. Emportée par une pneumonie, elle meurt à 34 ans.
Johnny Eck (1911 – 1991)
Sévèrement frappé par un syndrome de régression caudale (ou agénésie sacrée), John Echkardt est né le tronc tronqué, privé de membres inférieurs, quelques minutes après un frère jumeau épargné par la malformation. Avant que son frère Robert ne sache marcher, Johnny se déplace sur les mains comme Kenny, l’enfant-tronc des années 80. Il débute dans le circuit des sideshows à 12 ans, acceptant l’expérience à condition que son frère soit de la partie. Johnny signe un contrat d’un an, transformé à son insu en contrat de dix ans par un magicien peu scrupuleux qui y ajoute un zéro et dont il aura du mal à se défaire. Mais il ne cessera plus de tourner. Sous le nom de Johnny Eck, « the Half-Boy », il exploite ses talents de nageur, jongleur, funambule et acrobate, avec une taille adulte de 43 centimètres. Fascinant en veste de smoking, juché sur un guéridon, il s’avère aussi très doué pour les tours de passe-passe et a toujours le sourire. Johnny Eck a travaillé entre autres avec Ringling Bros. et Barnum & Bailey Circus, comme les membres de la Doll Family, Frances O’Connor, Martha Morris et la femme à barbe de Freaks.
À l’été 1931, il est approché par un découvreur de talents de la MGM alors qu’il s’exhibe à l’Exposition canadienne de Montréal. Sur le plateau de Freaks, il s’entend très bien avec Tod Browning et préfère sa compagnie à celle de ses compagnons d’infortune qu’il décrit comme une joyeuse foule, bruyante et puérile. Le cinéaste l’invite à s’asseoir à côté de lui pendant qu’il filme : « Browning voulait que je reste le plus près possible de lui ». On le voit à l’écran à plusieurs reprises et dans sa pose favorite, se tenant en équilibre sur un bras. Johnny sera très déçu de voir plusieurs de ses scènes coupées par les censeurs, parmi les près de trente minutes du film dont le métrage n’a jamais été retrouvé. Conquis, Tod Browning compte le faire tourner avec son frère dans un film de savant fou. Mais après le flop de Freaks, le projet tombe à l’eau. Johnny Eck enchaîne toutefois le tournage de trois Tarzan avec Johnny Weissmuller, perché sur ses deux mains dans la peau d’un drôle d’oiseau : Tarzan the Ape Man (1932), Tarzan Escapes (1936) et Tarzan’s Secret Adventure (1941), sa dernière escapade hollywoodienne. Il s’illustre au Ripley’s Believe It or Not Odditorium lors de l’Exposition universelle de Chicago en 1933 pour tenter de joindre les deux bouts en cette période de Grande Dépression. Et Johnny et Robert font encore fureur dans le spectacle Miracles of 1937, avec le magicien Rajah Raboid qui propose une version du traditionnel « homme coupé en deux » digne des illusions de Méliès chez Houdin – le numéro se concluant par un Johnny poursuivant un nain caché dans des jambes de pantalon, devant une foule médusée qui avait, au préalable, vu Robert en entier. Johnny a le goût du défi et réalise en 1938 la prouesse de monter au sommet du Washington Monument, obélisque de plus de 169 mètres de haut. Assumant pleinement sa condition physique, il répond quand on lui demande s’il voudrait avoir des jambes, « Pourquoi faire ? J’aurais un pantalon à repasser ! »
Comme les freaks shows passent de mode, les frères Eckhardt retournent dans la maison de leur enfance à Baltimore. Leur salle de machines à sous fait faillite, et on retrouve Johnny au volant d’un petit train pour enfants dans un parc local ou organisant des spectacles de marionnettes avec son jumeau. Artiste complet, Johnny Eck est également peintre, dessinateur, photographe, musicien multi-instrumentiste, chef d’orchestre et maquettiste hors pair. Olga Baclanova, la trapéziste de Freaks, se souvient avec affection de la piste de cirque en allumettes, réalisée pour elle par Johnny à la fin du tournage. Passionné de voitures de course, il pilote aussi son propre véhicule sur mesure dans les rues de Baltimore. À la retraite, Eck raconte sa vie à qui veut. Son quartier devenu envahi de dealers et de criminels ne l’empêche pas d’être poursuivi par la nouvelle génération de fans de Freaks, ressorti en vidéo dans les années 80. Après avoir été malmenés plusieurs heures lors d’un cambriolage en 1987, les jumeaux vivent reclus. « Si je veux voir des monstres, il me suffit de regarder par la fenêtre » déclare Johnny. En janvier 1991, victime d’une crise cardiaque pendant son sommeil, il décède à l’âge de 79 ans. Son frère Robert le suit en 1995.
Durant les années 90, Leonardo DiCaprio a pour projet de jouer le double-rôle des frères Echkardt dans un biopic dont on a malheureusement plus entendu parler depuis plus de dix ans.
Minnie Woolsey (1880- après 1960)
Née en 1880 en Géorgie, Minnie Woolsey souffre du syndrome de Seckel, maladie génétique rare caractérisée par l’association d’un nanisme proportionné avec microcéphalie, d’une dysmorphie faciale dite en tête d’oiseau, et d’un retard mental, entres autres anomalies possibles. Elle débute sa carrière sous le nom de Minnie Ha-Ha en costume amérindien. Avec ses 1,37 mètre, un nez ressemblant à un bec, quasiment chauve et édentée, Minnie aurait été arrachée de l’asile psychiatrique où elle végétait, par son futur manager qui voit en elle la poule aux œufs d’or. De nature timide, elle finit par apprécier d’être le centre du spectacle.
Elle tient son propre rôle dans Freaks, créditée comme Koo Koo. Un rôle sans texte mais mémorable. Comme nombre de ses collègues freaks, elle danse sur la table du repas de mariage dans son costume à plumes. Après Freaks, devenue complètement aveugle, elle se produit à Coney Island à Brooklyn, rebaptisée Koo Koo, « The Blind Girl From Mars ». Capable de rester immobile pendant des heures sur une chaise, sans réagir à aucun stimulus, Minnie y aurait été encore présente à l’âge de 80 ans. On retrouve sa trace dans les années 1960 ou Miss Koo Koo aurait été renversée par une voiture. Le reste de l’histoire est resté obscur, on ignore quand et de quoi Minnie Woolsey est morte.
Elizabeth Green (1905 – 2001)
Originaire du Massachusetts, Elizabeth Green (alias Betty Green) officie en tant que femme-cigogne sous le nom de « The Human Stork » ou « The Stork Woman ». Au générique de Freaks, elle rafle le titre de « Bird Girl » en signant son contrat avant Minnie Woolsey, son aînée avec laquelle on la confond souvent. Fan absolue de cinéma, elle aurait passé le casting pour essayer d’avoir l’autographe de son acteur préféré, Ronald Colman dont on annonçait le divorce imminent. Elle a plusieurs scènes dans Freaks, dont une dialoguée avec Frances O’Connor, la Vénus de Milo vivante.
Anton La Vey, futur fondateur de l’Église de Satan qui travaille un temps avec elle, l’accuse d’imposture. Comédienne de première classe, elle n’aurait en effet souffert d’aucun trouble et exagéré ses traits disgracieux. Faux freak ou pas, elle se produit aussi au Ringling Brothers and Barnum & Bailey Circus dans les années 20 et 30. Elle avait en tous cas le sens des affaires : ses 5 immeubles dans la région de Boston, qu’elle gérait elle-même, lui auraient permis d’être rentière. Elizabeth Green aurait pris sa retraite en 1943 dans sa ville natale de Springfield et vécu avec sa nièce pour l’aider à élever ses trois enfants. Elle décédera à l’âge de 95 ans.
Angelo Rossitto (1908 – 1991)
Atteint de nanisme, Angelo Rossitto pense d’abord étudier le droit avant de quitter son Nebraska natal pour faire ses premiers pas au cinéma, encore muet. Il foule son premier plateau en 1926 face à John Barrymore qui devient un ami et l’encourage à poursuivre une carrière d’acteur. Il apparaît aussi aux côtés de Lon Chaney, acteur de prédilection de Tod Browning (While the City sleeps, Jack Conway, 1928). Angelo a déjà à son actif plusieurs rôles avant de faire passer l’énorme coupe de champagne aux convives du banquet de Freaks, debout sur la table. C’est son dixième film et de tous les freaks du générique, il est le seul à ne pas faire partie du milieu.
Surnommé Angelino ou Little Angie avec ses presque 89 centimètres de hauteur, il s’affirme comme un des acteurs de petite taille les plus demandés. Dans la foulée de Freaks, Angelo Rossitto incarne, entre autres, un pygmée chez Cecil B. DeMille (The Sign of the Cross, 1932), un des trois petits cochons dans Babes de Toyland (1934), avec Laurel et Hardy, et une créature de la forêt dans le sublime A Midsummer Nights Dream de Max Reinhardt (1935). Il travaille aussi comme doublure de Shirley Temple. Mais les emplois pour un homme de sa taille restent limités et Angelo complète ses revenus en exploitant un kiosque à journaux à Hollywood. « Je n’ai jamais travaillé de façon stable. Sans mon kiosque, je n’aurais jamais gagné ma vie ».
En 1939, Angelo cofonde l’association Little People of America, qui compte aujourd’hui des milliers de membres, encore au taquet face aux nains de Blanche-Neige et le chasseur (2012), interprétés par des comédiens de taille normale avant d’être retouchés… En 1941, il se présente à la mairie de Los Angeles – un joli coup de pub, sans succès politique – et apparaît dans Hellzapoppin. C’est l’année où il tourne avec un autre comédien fétiche de Tod Browning, Bela Lugosi qui le considère comme son acteur de genre préféré. « Bela Lugosi m’a dit une fois qu’il me voulait dans tous ses films. C’était un type adorable et il m’aimait » rapporte Angelo. Il sera aux côtés du vampire attitré de Browning, sur le déclin, le temps de trois films. Angelo continue à interpréter des nains, lilliputiens, pygmées, gnomes et autres créatures sous-marines ou extraterrestres pendant près de quatre décennies. ll est même vendeur de journaux, comme dans la vie, dans le thriller onirique Dementia (1955) ou dans un classique de la série B Confessions of an Opium Eater (1962). Explorant tous les genres cinématographiques, il croisera Johnny Weissmuller (Jungle Moon Men, 1955), Vincent Price à plusieurs reprises (la première fois chez Fuller dans The Baron of Arizona, 1950) ou Hedy Lamarr et les Marx Brothers chez Irwin Allen (The Story of Mankind, 1957). Il passe du film jeune public (The Wonderful World of the Brothers Grimm, 1962) à la science-fiction horrifique (Dracula vs. Frankenstein, 1971) ou au Nouvel Hollywood (The Trip de Roger Corman en 1967 ou Alex in Wonderland de Paul Mazursky en 1970). Souffrant de problèmes de vue importants, Angelo Rossitto est presque aveugle au début des années 80 mais tourne encore, notamment son rôle préféré dans le troisième volet de Mad Max (1985).
Une carrière de seconds rôles, prolifique et inégale, avec 70 longs métrages au compteur – même si l’acteur n’est pas toujours crédité – et une bonne vingtaine de séries pour la télévision, sans compter les téléfilms. Après soixante ans dans le cinéma, Angelo prend sa retraite à Hollywood. Il meurt en septembre 1991, âgé de 83 ans, des suites de complications chirurgicales.