Depuis que, dès janvier 1897, Gabriel Veyre, premier opérateur des frères Lumière, a rapporté des images animées des rues de Tokyo, du pont de Kyoto, d’acteurs japonais, de combats de sabre, de danseuses aux ombrelles et éventails (tout en formant les premiers opérateurs japonais comme Tsunekichi Shibata), les films japonais n’ont cessé d’intriguer les cinéphiles français et les cinéastes eux-mêmes qui ont trouvé dans les films de Mizoguchi, de Naruse et de Kurosawa, une source d’inspiration. Henri Langlois a été le défricheur, soutenu et relayé par de nombreux ambassadeurs. Attachée aux convictions de son fondateur, « conserver et montrer », la Cinémathèque a su au fil du temps collecter des films et des archives provenant du Japon, pour les programmer et les exposer.
Le fonds Alive à la Cinémathèque française
La Cinémathèque française a constamment affiché sa passion pour le cinéma japonais, encourageant les dons et dépôts réguliers. Ceux de Jean-Pierre Jackson et de Pascal-Alex Vincent ont permis de constituer, au fil du temps, un véritable fonds film et non film reflétant bien le travail de la société Alive.
Le fonds Alive est constitué de centaines de photos d’exploitation, d’affiches originales ou de rééditions françaises, de dossiers de presse et de très nombreuses copies 35 mm des grands classiques japonais d’Akira Kurosawa à ceux de Kon Ichikawa en passant par les films de genre d’Ishiro Honda. Ces copies ont été tirées par les sociétés de production japonaises à partir du matériel d’origine puis sous-titrées en France. En 1992, à titre d’exemple, Alive distribue 14 copies neuves à l’occasion de la rétrospective Yasujirō Ozu au cinéma Max Linder Paronama, dont Bonjour, son premier film en couleur, Fleurs d’Equinoxe et son dernier film Le Goût du Saké. Alive crée l’évènement en montrant en salle, le premier film japonais en couleur, Carmen revient au pays (Keisuke Kinoshita, 1951).
Pour accompagner ces sorties, des bandes-annonces originales ont aussi été tirées par la Shochiku.On y découvre quelques plans émouvants et rares où Ozu, le réalisateur vedette de la société, apparait à l’image, en train de diriger ses acteurs sur le plateau. Elles font elles-aussi partie du fonds Alive et ont été montrées lors de la rétrospective Ozu en avril et mai 2014.
La société Alive a cessé ses activités en 2002, permettant à d’autres sociétés de distribution de films de patrimoine comme Carlotta Films de poursuivre cette démarche exemplaire.
Les programmations japonaises de la Cinémathèque française
Henri Langlois écrivait déjà en 1963, dans le catalogue consacré à la première grande rétrospective de cinéma japonais intitulé Chefs-d’œuvre et panorama du cinéma japonais : « On peut dire aujourd’hui que le cinéma japonais demeure depuis quelques années le cinéma qui produit le plus de style. Sa réputation n’est plus à faire à Paris depuis Rashomon et Les Contes de la lune vague, depuis Les contes de Tokyo en Grande-Bretagne, depuis L’Ile nue à Moscou ». Pourtant il rappelle aussi que « Le Cinéma japonais nous est, en fait, inconnu ». Cette rétrospective, annoncée comme un hommage à la Cinémathèque de Tokyo (créée en 1956), permit de découvrir 141 films. Tout en programmant régulièrement des films, à l’occasion du 75ème anniversaire du cinéma japonais, il organise en 1971 une nouvelle programmation de même envergure. Ces rétrospectives sont évidemment l’occasion de découvrir les grands cinéastes incontournables mais aussi toutes les nouvelles générations. En 1984, en collaboration avec la Fondation du Japon, l’Ambassade du Japon en France, le Kawakita Memorial Film Institute et surtout avec l’aide précieuse d’Hiroko Govaers et de Mme Kawakita, la Cinémathèque française propose une nouvelle rétrospective monumentale. Intitulée Le Cinéma japonais de ses origines à nos jours, elle est composée de 500 films. Elle se divise en trois parties, Histoire du cinéma japonais de janvier à juin, Divers aspects du cinéma japonais, de juillet à décembre, insistant davantage sur des cinéastes moins connus et la dernière consacrée au cinéma contemporain avec des films d’avant-garde et expérimentaux, dont un hommage à Shuji Tarayama. Hiroko Govaers écrira justement qu’il s’agissait de « mettre en exergue des cinéastes ou des acteurs dont les critiques en Occident se sont totalement ou partiellement détournés à cause du manque de disponibilité des films ».
Cette grande ambassadrice du cinéma moderne propose de nombreuses programmations audacieuses : un hommage au jeune cinéma japonais (janvier 1969), une programmation de vingt cinéastes d’aujourd’hui en présence de Machiko Kyo et Toshiro Mifune (janvier-février 1974), un programme de films documentaires (février 1978), un autre consacré à six cinéastes contemporains : Masahiro Shinoda, Koichi Saito, Seijun Suzuki, Kirio Uryama, Yoichi Higashi, Mitsuo Yanagimachi (février 1982), puis un cycle sur le cinéma d’animation japonais (juin 1983) et, plus engagé encore, La femme dans le cinéma japonais (février 1984)…
L’une des dernières interventions remarquées d’Hiroko Govaers, est sa collaboration lors de la rétrospective Kenji Mizoguchi, organisé en juin et juillet 1998 par Jean-François Rauger, directeur de la programmation. Elle participait aux traductions et faisait au public la lecture en français des cartons des films muets tel un benshi, ne laissant entendre que sa voix au service d’un art qu’elle vénérait.
A la même époque, Hiroko Govaers déposa des copies à la Cinémathèque, dont celles en 16 mm des deux premiers films magnifiques de Teinosuke Kinugasa Une page folle et Carrefour (copies précieuses mais bien usées, traces indélébiles de nombreuses projections). La Cinémathèque conserve aussi les archives d’Hiroko Govaers constituées notamment de très belles affiches japonaises de films français.
Jean-François Rauger propose à son tour de réguliers et passionnés hommages à de nombreux cinéastes japonais, offrant des rétrospectives les plus complètes possibles, une ligne éditoriale propre à la Cinémathèque. Au palais de Chaillot et sur les Grands Boulevards, on célèbre Kenji Mizoguchi puis Tai Kato (du 9 au 20 septembre 1998), Kenji Misumi (du 1 au 26 mars 2000), la première grande rétrospective française consacrée à Mikio Naruse (10 janvier au 4 mars 2001) et enfin Shohei Imamura (du 31 octobre au 30 novembre 2001).
Depuis qu’elle s’est installée à Bercy, la Cinémathèque a souvent programmé des cycles consacrés aux cinéastes japonais : au précurseur de la nouvelle vague, Yasuro Masumura, au maître Akira Kurosawa en 2010 pour le centenaire de sa naissance, à Koji Wakamatsu avec une quarantaine de films, la plus importante rétrospective consacrée à cet artiste sulfureux. En 2013, on a pu découvrir l’ensemble des films du réalisateur contemporain Shinji Somai. La Cinémathèque française a aussi rendu hommage en 2008 à Madame Kawakita, fidèle complice d’Henri Langlois, avec une programmation offerte par la Fondation Kawakita. Elle a célèbré deux sociétés de production : la Tœi qui renouvela la mode du film de sabre dès le début des années 50 et les productions Siglo, fondées en 1986, qui proposent des films documentaires et des fictions abordant les difficultés sociales du Japon contemporain. Une rétrospective Yasujiro Ozu, d’avril à fin mai 2014, celle consacrée à Kinji Fukasaku en juillet 2014 reflètent également de l’intérêt de la Cinémathèque pour le cinéma japonais.
Les collections japonaises de la Cinémathèque française
Notre politique d’enrichissement a permis, pour accompagner ces rétrospectives, de tirer de nouvelles copies à partir des éléments originaux. Une copie neuve de Ran a fait l’ouverture de la rétrospective Kurosawa en collaboration avec Studio Canal qui conserve le négatif. De même, deux films devenus invisibles de Wakamatsu, L’Extase des anges et Le Vagabond du sexe, ont été tirés au Japon, avec l’aide de la fondation Wakamatsu. Ces tirages sont conservés aux côtés d’autres curiosités comme Rites d’amour et de mort, seul film de Mishima et Le Lézard noir de Kinji Fukasaku, deux œuvres vouées à la « destruction » dans leur pays il y a encore peu.
La Cinémathèque française conserve aussi de nombreuses archives, dessins de costumes et de décors, affiches, objets insolites et costumes jadis exposés au palais de Chaillot. Un film inachevé de Roberto Guerra montre ainsi Henri Langlois et Madame Kawakita aménageant une salle du Musée de Chaillot consacrée au Japon.
Au sein de ces collections, l’un des fonds les plus précieux est constitué des aquarelles d’Hiroshi Mizutani pour les décors et costumes des quatre derniers films de Kenji Mizoguchi Les Amants crucifiés, Le Héros sacrilège, L’Impératrice Yang Kwei Fei, La Rue de la honte (152 maquettes). Hiroshi Mizutani les offrit en 1961 après l’hommage à Kenji Mizoguchi au Festival de Cannes. Il fut le décorateur du cinéaste à partir de 1933, puis dans les années 50, directeur artistique sur quatorze films du cinéaste.
D’autres dons insolites, particulièrement généreux, sont soigneusement conservés dans nos réserves : Kurosawa a offert trois très beaux dessins à la mine de graphite représentant Les sept Samouraïs. Une impressionnante collection d’objets japonais, statuettes, figurines, masques, coffres, poupées, instruments de musique, éventails ont été donnés par Gérard Philippe, grand amateur d’art japonais. Un phénakistiscope représentant à l’encre de Chine le visage de Shuji Tarayama a été confié par le cinéaste lors d’une visite à la Cinémathèque, ainsi que le masque-empreinte mortuaire en bronze oxydé de Kenji Mizoguchi.. La collection des costumes compte de nombreux kimonos et pantalons, dont ceux de Kagemusha, des Sept samouraïs, du Château de l’araignée, de La Forteresse cachée portés par Toshiro Mifune et offerts eux aussi par Kurosawa, le long kimono orangé aux motifs à fleurs porté par Machiko Kyo dans La Porte de l’enfer, celui en coton beige au motifs peints de Masayuki Mori dans Les Contes de la lune vague …
Tout récemment encore, de nouveaux dons sont venus compléter ces collections : celui de la réalisatrice et traductrice Catherine Cadou (elle a traduit quinze films de Kurosawa) et celui de la productrice japonaise Michiko Yoshitake.
Hervé Pichard