Une œuvre engagée
De son vrai nom Christian François Bouche-Villeneuve, Chris Marker est l’auteur d’une cinquantaine de films documentaires qui ont profondément marqué l’histoire du cinéma. Proche d’Alain Resnais, il coréalise avec lui Les Statues meurent aussi en 1953, puis passe seul derrière la caméra.
Il va ainsi doucement imposer un ton inédit, une manière inconnue de regarder le monde et d’en rendre compte. Dimanche à Pékin (1956), Lettre de Sibérie (1957), Cuba Si (1961) témoignent de son art du montage poétique. La Jetée (1962) invente, à partir de photos fixes, un style et une nouvelle écriture cinématographique. Ce seront aussi Le Joli Mai, À bientôt, j’espère (1968), Le Fond de l’air est rouge (1977), Sans Soleil (1983), L’Héritage de la chouette (1989), Le Tombeau d’Alexandre (1993), Level Five (1997), ou encore Le Souvenir d’un avenir (2003), jusqu’à ses derniers courts métrages.
L’œuvre de Chris Marker suit et épouse la deuxième moitié du XXe siècle, se tenant à la bonne distance des événements historiques qui ont bousculé le monde : Cuba, le communisme en URSS et en Chine, la guerre du Vietnam, Mai 68, le Chili, les luttes ouvrières, les combats pour l’émancipation et l’indépendance. Grand moraliste, Chris Marker porte sur le monde le regard d’un ethnographe engagé, soucieux de styliser son écriture cinématographique. Écrivain, photographe, grand voyageur solitaire, figure libre et souveraine, Marker entretient le mystère sur sa personne, refusant d’être photographié ou de présenter ses propres films.
Chris Marker, c’est encore le paradoxe dynamique d’un créateur qui fait tout à la fois œuvre personnelle, à la manière d’un artisan, et met souvent son génie de l’organisation au service des autres, initiant ainsi des expériences artistiques et politiques décisives comme l’œuvre collective intitulée Loin du Vietnam (1967), ou des films ouvriers majeurs réalisés dans le cadre des Groupes Medvedkine, du nom de ce cinéaste soviétique auquel il consacre un documentaire, Le Tombeau d’Alexandre. Dans le monde cinématographique de Marker, tout se tient : l’individuel et le collectif, le présent et la mémoire, l’intime et le spectaculaire des luttes, le bricolage et la haute technologie, la petite forme et la grande Histoire.
Le Fonds Marker
Conformément aux volontés de Chris Marker, la Cinémathèque française s’est rapprochée de ses héritiers pour examiner les conditions dans lesquelles les archives du cinéaste pouvaient être accueillies, conservées et valorisées. Elles ont pu être versées aux collections de la Cinémathèque en mai 2013. Un comité scientifique composé de personnalités proches du cinéaste et familière de son œuvre a été constitué pour superviser l’inventaire et le traitement de ces documents.
En septembre 2013 débute donc l’inventaire de l’ensemble du fonds. Ce sont 550 cartons qui comprennent différents types d’objets ou de documents : photographies, affiches, disques vinyles, archives papier, éléments audiovisuels, appareils, ouvrages, éléments informatiques, miniatures, VHS et DVD, etc. Le recensement des appareils est d’ores et déjà achevé. Le contenu d’une vingtaine de cartons de photographies a été entièrement examiné, et leur catalogage est en cours.
La bibliothèque de Chris Marker
Riche de 137 cartons, elle a fait l’objet d’un inventaire approfondi. Il s’agit en réalité d’une bibliothèque de travail, et non de collectionneur. Elle est unique au monde dans sa forme : chaque ouvrage est truffé de documents divers, correspondances, coupures de presse, etc. Chaque volume a ainsi dû faire l’objet d’une description précise des éléments qu’il contenait, en vue de conserver un instantané de ce classement particulier et de l’organisation des données avant traitement. Pour rendre compte fidèlement de cette singularité passionnante, le rapport d’inventaire est instructif, mais à l’évidence insuffisant. Un projet de bibliothèque virtuelle est donc à l’étude, mené par une élève de l’École des Chartes.
Mise à disposition et exposition
L’inventaire se poursuit avec les objets, les affiches, les supports audiovisuels et les archives papier, mais également avec les disques durs, sur lesquels Chris Marker a travaillé au cours des vingt dernières années de sa vie. Ces derniers contiennent plusieurs millions de fichiers. De même, un premier examen a été mené sur près d’un millier de disquettes informatiques en vue de procéder à un travail de sauvegarde et de restauration, préalable indispensable à l’inventaire des contenus.
Les disques vinyles puis les collections audiovisuelles seront ensuite inventoriés, permettant d’avoir une première vue globale de la cohérence et de la richesse de l’ensemble du fonds. Le travail de catalogage pourra alors commencer, l’objectif demeurant de mettre les documents à la disposition des chercheurs à l’horizon de 2018, en même temps qu’ils seront présentés sous forme d’une grande exposition à la Cinémathèque française, élaborée conjointement avec le comité scientifique.