La Cinémathèque française, grâce aux Films du Veilleur, tire une copie neuve, 35 mm, de La Belle noiseuse, divertimento de Jacques Rivette. Cette démarche classique, voire traditionnelle, est de moins en moins courante, même au sein des archives attachées pourtant aux projections de copies argentiques. La Cinémathèque française a le souci d'entretenir encore ce savoir-faire fragile et complexe qui tend à disparaître.
À l'ère du numérique, le tirage traditionnel de copie sur pellicule 35 mm est encore possible en France grâce, entre autres, au laboratoire Hiventy, qui propose dans les locaux historiques de Joinville-le-Pont la chaîne complète de post-production et de restauration, numérique et argentique.
On le sait, les films sur support argentique, encore aujourd'hui, restent le meilleur garant de la préservation des films sur le long terme. La Commission d'aide à la numérisation des films de patrimoine, mise en place par le CNC, insiste sur le « retour sur film » obligatoire après restauration ; une étape indispensable qui encourage certains laboratoires à poursuivre ces techniques nécessitant une infrastructure complexe et coûteuse. Cette commission permet de répondre à une problématique de conservation, serpent de mer des restaurateurs, et l'activité des laboratoires photochimiques permet aussi de tirer des copies directement à partir des éléments originaux sans passer par les étapes de restaurations numériques.
La fabrication de copies neuves argentiques, malgré la qualité en projection, se pratique très peu depuis 2013 (l'année où la quasi-totalité des salles en France s'est équipée numériquement). Les détenteurs de catalogues de films de patrimoine ont aujourd'hui, a priori, peu de raisons d'acquérir des copies neuves. Celles-ci peuvent être projetées uniquement dans le réseau des archives internationales, dans quelques salles indépendantes et programmées dans certains festivals qui encouragent cette démarche, et elles ne sont plus destinées à des ressorties commerciales dans un large réseau de salles, lui-même cependant attaché de plus en plus aux ressorties de films anciens.
Pourtant, on le constate fréquemment à la Cinémathèque, des copies neuves peuvent connaître un parcours étonnant, à une échelle internationale, dans des lieux prestigieux et des salles exigeantes encore équipées d'un double poste de projection. La Cinémathèque tire des copies dans le cas où elle ne trouve plus de supports projetables, trop virés, fragiles ou inexistants... Ces nouvelles copies permettent avant tout de faire redécouvrir des films oubliés comme Le Roi de cœur de Philippe de Broca ou le très court métrage, récemment retrouvé, Actua 1 de Philippe Garrel, l'un et l'autre projetés en de très nombreux endroits et suscitant l'intérêt. De fait, ces copies neuves s'avèrent un des trésors des collections.
C'est désormais le cas aussi pour La Belle noiseuse : Divertimento (1991), version différente et plus courte, est une variation sur le thème de La Belle noiseuse, le célèbre film de Jacques Rivette, tourné en 1991 et inspiré d'une nouvelle de Balzac. Cette version est née d'une contrainte : le contrat de co-production avec la chaîne de télévision FR3 stipulait que le film ne devait pas excéder une durée de deux heures. La Belle noiseuse atteignant le double de la durée prévue, le metteur en scène se devait d'opérer une réduction radicale.
Cependant, selon le dossier de la production, Divertimento n'est en rien un « montage court » de La Belle noiseuse, d'abord parce que le montage de cette version s'est fait non sur les mêmes prises que ceux de la longue, mais à partir de doubles, impliquant une recréation de scènes fort différentes en rythme, style de jeu et structure interne.
En ce qui concerne le titre ou sous-titre de cette version courte, il fait allusion à une pièce pour orchestre de Stravinsky. Divertimento est en effet le titre choisi par le compositeur pour cette suite, relativement brève, composée au début des années 1930 d'après Le Baiser de la fée, le plus long de tous les ballets de Stravinsky.
Le cinéaste propose une histoire contemporaine abordant la question du doute et de la création artistique à travers la relation triangulaire entre un peintre (Michel Piccoli), sa femme (Jane Birkin) et son modèle (Emmanuelle Béart). Dans cette version où une très grande part des séquences de travail tournées dans l'atelier du peintre ont disparu, le personnage de l'épouse prend une dimension plus importante. Ainsi, Liz, l'épouse, et Marianne, le modèle, se retrouvent sur un pied d'égalité, à la fois complices et rivales. Elles se croisent, s'observent et se protègent face à la vocation dévorante du peintre. Détail amusant, le film commence et se termine par un plan du commanditaire du tableau, allusion à la commande de cette version courte et au lien évident entre le peintre et Jacques Rivette pris dans une démarche similaire de création et d'introspection...
La copie neuve a été tirée à partir de l'internégatif image et son au laboratoire Hiventy. Les bandes d'étalonnage, retrouvées avec les éléments d'origine, ont permis de respecter les couleurs et la densité lumineuse des rares copies d'époque. La directrice de la photographie Irina Lubtchansky, fille du chef opérateur du film William Lubtchansky, a validé les tests avant tirage. Les travaux ont été suivis par Véronique Rivette, en collaboration avec la Cinémathèque française et l'étalonneur José Saraiva.
Les éléments originaux et la copie neuve seront conservés à la Cinémathèque française et complèteront ainsi un fonds important des archives de Jacques Rivette. La Cinémathèque reste en effet attentive aux travaux de restauration en cours des films du cinéaste. Elle avait déjà tiré une copie neuve de Hurlevent (1985), lors de la rétrospective du chef opérateur Renato Berta. L'année dernière, elle a restauré les premiers courts métrages retrouvés du cinéaste, en collaboration avec les Films du Veilleur et la Cinémathèque de Toulouse : Aux Quatre coins, Le Quadrille et Le Divertissement (lire l'article « Il a bien fallu que naisse un jour le cinéma moderne... » : trois courts métrages inédits de Jacques Rivette).
Film rare, d'autant plus en 35 mm et sur un écran de cinéma, Divertimento de Jacques Rivette sera projeté à l'ouverture du cycle de films consacré à Jane Birkin. Une belle façon de célébrer le talent de l'un et de l'autre, qui firent trois films ensemble (quatre en comptant Divertimento) : L'Amour par terre (1984), La Belle noiseuse (1991) et 36 vues du pic Saint-Loup (2009).