Dennis Hopper
Du 15 octobre 2008 au 19 janvier 2009
Dennis Hopper et le Nouvel Hollywood
Icône du Nouvel Hollywood et de l’underground artistique californien, Dennis Hopper demeure une figure incontournable des contre-cultures les plus radicales de la Côte Ouest, et ce depuis un demi-siècle. Le succès exceptionnel en 1969 d’Easy Rider (20 millions de dollars de recettes), film atypique et novateur dont il est le réalisateur et l’interprète, constitue l’acte de baptême d’une nouvelle vague contestataire.
Symbole de la jeunesse et de l’anticonformisme, Dennis Hopper incarne un cinéma libertaire, au bord de la rupture. Avec Easy Rider, road-movie nihiliste et métaphysique, à la bande son explosive, c’est un tout nouvel ordre du monde qui advient. Celui de l’émancipation des Noirs, du festival pop de Monterey, et des sit-in anti-guerre du Vietnam. Une Amérique où s’expriment librement les amateurs de rock et d’hallucinogènes, les hommes qui rêvent, les femmes qui assument leur sexualité, les artistes qui reconquièrent le réel, les cinéastes qui s’affranchissent de l’hégémonie des grands studios. Easy Rider est un film sur la route, où Dennis Hopper, avec des partis pris de mise en scène insolites, convie le temps d’une scène les héros de son époque : Phil Spector (le producteur musical le plus influent et le plus inventif de l’histoire de la pop musique), Wallace Berman (artiste plasticien qui fut régulièrement exposé à la Ferus Gallery, grande galerie pop de Los Angeles, qui accueillit en 1962 la première exposition solo d’Andy Warhol, Andy Warhol: Campbell’s Soup Cans), George Herms (artiste réputé pour ses assemblages faits à partir d’objets de récupération), et évidemment les acteurs Peter Fonda et Jack Nicholson, avant qu’ils ne deviennent des monstres sacrés.
Qu’est-ce qui a rendu possible l’émergence d’un tel film culte ? De quelle onde sismique a-t-il été l’origine ? En 1969, Dennis Hopper, sur son Harley Davidson, est connu des cinéphiles, qui se souviennent de lui aux côtés de James Dean en blouson noir dans La Fureur de vivre (Nicholas Ray, 1955) et dans The Glory Stompers (Anthony M. Lanza, 1968). Connu également pour avoir claqué la porte de la 20th Century Fox en 1958. Pour avoir cosigné un ready-made avec Marcel Duchamp en 1963. Pour avoir joué dans les films expérimentaux d’Anfurdy Warhol (Tarzan and Jane Regained… Sort of). Pour avoir collectionné le Pop Art avant tout le monde à Los Angeles (Roy Lichtenstein ou Jasper Johns). Pour avoir côtoyé ceux qui rendirent possible un soulèvement politique (de Jane Fonda à Martin Luther King). Pour avoir pris des centaines de clichés en noir et blanc de manifestations et de performances. Pour avoir publié ses photos très stylées d’une nouvelle mythologie américaine en couverture de Vogue ou d’Artforum.
« Je viens de l’expressionnisme abstrait et du jazz », aime à dire l’acteur-réalisateur-artiste. Hopper a toujours été un amateur d’art réactif et un collectionneur inspiré, cherchant à inscrire la multitude de ses pratiques dans un réseau de connivences, au sein duquel il élit ses pairs. Ses intérêts l’amènent au-delà des attentes de son public. Du cinéma vers la photographie. De la photographie vers la peinture et la sculpture. De la sculpture vers la performance. De la performance vers le film expérimental. De l’expérimental aux formes les plus populaires de la télévision, qui contribuent à ancrer définitivement son visage d’ange en perfecto et stetson dans l’imaginaire américain.
Un homme aux multiples facettes donc, dont la filmographie croise Roger Corman, Sam Peckinpah, Francis Ford Coppola, Bob Rafelson, Abel Ferrara, Martin Scorsese, Robert Altman, David Lynch ou Quentin Tarantino. Capable de jouer un marin amoureux d’une sirène (Night Tide), un cascadeur s’interrogeant sur la mort du cinéma (The Last Movie, son deuxième long métrage en tant que cinéaste), un père alcoolique et incestueux (Out of the Blue, son troisième), un vétéran du Vietnam saisi par des hallucinations (Tracks), un photographe prophète (Apocalypse Now), un espion receleur à l’œil aiguisé (L’Ami américain), un toxicomane violent mais amateur de bluettes romantiques (Blue Velvet), un marginal dévasté par la vie (River’s Edge), et, pour un de ses plus beaux rôles, un vidéaste déçu par le cinéma (The Blackout). A chaque fois et pour chaque rôle, Hopper s’investit de manière physique, en inventant une sorte de chorégraphie.
On dit souvent que le Nouvel Hollywood commence à décliner vers le milieu des années quatre-vingts. Cela n’empêche pas Dennis Hopper de poursuivre ses expériences limites. Après avoir fui la Californie pour s’installer au Nouveau-Mexique et reconquérir un nouveau territoire – celui, tabou, des Amérindiens , il revient à la réalisation avec le cultissime Colors, premier film à s’enfoncer dans les banlieues de Los Angeles. Il découvre également les « tags » de banlieues, et assume par ricochet un geste d’action painter, renouant avec la peinture, pratique qu’il avait abandonnée après l’incendie de sa villa de Bel Air en 1961 où avaient été détruites une centaine de ses toiles. Dennis Hopper continue d’incarner les multiples facettes de cette Amérique insolite. Un véritable phénix capable de se régénérer à chaque crise traversée. Aujourd’hui, l’homme est serein, ouvert, disponible. Que ce soit dans le domaine du cinéma, de la photographie, de la performance, de la télévision (il joue notamment le personnage de Victor Drazen dans la première saison de 24 heures) ou de la Playstation (il fait la voix off du sulfureux jeu vidéo Grand Theft Auto : Vice City), son visage halluciné est le symbole de ce Hollywood toujours au bord de la rupture. Dennis Hopper est en effet l’Homme qui a su prendre le risque de ne pas opposer réalité et fiction, art et cinéma, chaos et paix. L’Homme qui, par ses films, ses photos et peintures, n’a jamais cessé de traquer l’énigme qui se cache derrière les paradoxes de l’Amérique. À la fois comme un exercice spirituel et un témoignage sociologique des mutations de son pays.
Matthieu Orléan