Festival de Cannes : scandales et controverses
Du 26 avril au 28 mai 2017
Festival de Cannes : scandales et controverses
Du festival de Cannes, qui célèbre cette année sa 70e édition, on ne saurait dire ce qui, depuis la première édition annulée en 1939 et sa relance de 1946, le qualifie le plus : la sélection officielle, le palmarès, la Palme d'or, les marches, le tapis rouge ? La presse, le marché, le public ? Tout cela à la fois sans doute, mais dans l'histoire du festival, quelque chose a aussi affirmé sa permanence : les scandales et les controverses, les films qui ont choqué ou dérangé les uns, qui ont été sifflés ou vilipendés par les autres. De la même manière que les œuvres entrées avec noblesse dans l'histoire du festival, ils en ont aussi fait la mythologie. Cependant, les réduire à leur seul rôle de trublion serait hâtif, comme de les cantonner à une éphémère célébrité : tous les films qui ont secoué la Croisette ont alimenté de beaux débats dont certains courent encore et ont questionné chacun à leur manière l'histoire du cinéma contemporain. Et ont évité au plus grand festival de cinéma au monde d'être un lieu de consensus et d'officialité.
Typologie des scandales
Consulter cette programmation de la Cinémathèque permet déjà de constituer une typologie du scandale cannois. Il y a d'abord le scandale esthétique, dont La Dolce vità et L'Avventura en 1960 marquèrent une sorte d'avènement. En gros : « Le film est ennuyeux, nul et incompréhensible. » À leur suite, le cinéma moderne aura pris sa part en la matière : Pialat et son Satan, Guerman et Kroustaliov ma voiture, Bresson et L'Argent, Bruno Dumont et L'Humanité. Sans oublier Brown Bunny de Vincent Gallo, qui fit l'unanimité contre lui... ou presque, puisque je ne fus pas le seul à le défendre. Mais que ce fut douloureux. On pourrait ajouter Oncle Boonmee d'Apitchatpong Weerasethakul que le président Tim Burton porta aux nues, contre les grincheux. Mais la rage des uns n'est pas celle des autres : en 1987, le jury d'Yves Montand sut récompenser Maurice Pialat qui, Palme d'or en main, siffla les siffleurs.
Il y a également le scandale « politique », avec guillemets tant il est difficile d'en discerner les contours et de comprendre aujourd'hui qui a pu se sentir offensé en 1956 par la présence de Nuit et brouillard d'Alain Resnais ou celle en 1977 de L'Homme de marbre de Wajda. En revanche, je me souviens parfaitement qu'Hors-la-loi de Rachid Bouchareb fut vilipendé pour un scénario provisoire par des responsables politiques qui n'avaient pas vu le film. La projection régla tous les problèmes : là encore, l'offense semble difficile à comprendre aujourd'hui. Pour Fahrenheit 9/11 de Michael Moore comme pour Pialat, c'est l'attribution de la Palme d'or qui choqua. Ça n'était certes pas la meilleure livraison du documentariste américain mais le jury en décida autrement en soulignant que son choix fut clairement déterminé par le contenu anti-George Bush du film. Aujourd'hui, le film est une curiosité et la Palme d'or fut directement commentée par la Maison-Blanche qui déclara... qu'elle n'en dirait rien.
Il y a encore le scandale au nom de la « morale », et on ne peut passer sous silence les hauts-le-cœur que certains films sélectionnés provoquèrent chez quelques esprits sensibles, ou chagrins, c'est selon. En effet, Cannes fut longtemps le terrain où s'affrontaient différentes conceptions des bonnes mœurs : celle des artistes n'est en général pas la même que celle du quidam, festivalier, critique ou spectateur de passage. Certains laissèrent sur les joues de Marco Ferreri et Marcelo Mastroianni les traces de leur crachat à la sortie de La Grande bouffe. Dans le même ordre d'idées, on pourrait citer : Viridiana, La Maman et la putain, La Petite, Max mon amour et quelques autres. Sans oublier le scandale des films dits « violents »... : La Peau, Irréversible, Antichrist, Funny Games, Crash...
Palmarès, mon beau souci
Certains scandales naissent spontanément : la Cinémathèque programme des films dont le scandale, à ses yeux comme aux nôtres, est... qu'ils ont fait scandale. Un journal a même traité de « trous du cul » ceux qui n'aimaient pas le film de Philippe Garrel, Les Frontières de l'aube. Mais terminons par ce qui fait réagir chaque année en fin de festival : le palmarès. Par exemple, l'attribution supposément injuste de tel ou tel prix à tel ou tel film, ou lorsque tel autre film ne figure pas au palmarès : voir Toni Erdmann l'année dernière. On sentit cependant plus de tristesse que de colère. Serait-ce que l'époque n'a plus l'énergie de se battre ? Avouerais-je moi-même le regret que j'éprouve parfois à voir le consensus dominer plus souvent que par le passé ? Certes, le temps a heureusement réglé ce qui devait l'être. Mais que serait Cannes sans les fauteuils qui claquent, sans une presse bagarreuse, sans des festivaliers exigeants ? Sans les erreurs du sélectionneur, aussi ? Mais autant que le temple du glamour et le marché le plus florissant du monde, Cannes est depuis toujours la plus belle terre de cinéma et il ne le serait pas autant s'il n'était aussi le lieu de grandes bagarres et de coups de tonnerre.
Thierry Frémaux, délégué général du festival de Cannes