John Flynn
Du 15 juillet au 2 août 2015
John Flynn : le professionnel
S’il n’avait réalisé que The Outfit / Échec à l’organisation, et Rolling Thunder / Légitime violence, John Flynn mériterait d’être salué par la Cinémathèque, d’autant que ces deux films des années soixante-dix n’étaient sortis dans l’Hexagone que de façon sporadique et confidentielle. Cet homme persévérant a laissé une véritable œuvre derrière lui, témoignant des vicissitudes du cinéma de genre. Car, après Best Seller, son seul véritable succès en 1987 (Pacte avec un tueur, produit par Carter DeHaven, qui lui avait confié The Outfit), Flynn n’a plus œuvré qu’à la télévision, ou pour de grosses vedettes de films d’action comme Jan Michael Vincent, Stallone, Steven Seagal, ou encore dans des aventures de coproductions canadiennes, ou pour des compagnies de vidéo très marginales. Les problèmes de copies et de sous-titrages sont suffisamment sérieux, mais pas seulement : il y a aussi un problème d’identification. Car on retrouve Flynn davantage dans sa façon de travailler que dans les thèmes de ses films (pas toujours ceux qu’il voudrait, surtout vers la fin). Même sur des budgets limités, il tenait à filmer à deux caméras, « pour pouvoir surprendre le spectateur dans la façon de montrer une scène. » Il lui fallait assez de matériau pour pouvoir créer une dynamique à l’intérieur de chaque séquence. « Je tiens ça des Européens », disait-il.
Autant John Flynn pouvait se montrer animé lorsqu’il parlait de ses films ou du cinéma en général, autant il restait modeste sur son travail. Dans le monde du cinéma, il était un loup solitaire. Il voyait peu d’amis dans le métier : Robert Wise, quand celui-ci était en ville, et son scénariste préféré, Nelson Gidding. Walter Hill, du moins à leurs débuts. Les producteurs Charles et Lawrence Gordon, avec lesquels il est resté en contact après Rolling Thunder et qui lui ont fait faire Lock-Up / Haute sécurité ; Jerry Bruckheimer, avant et après Defiance.
Ce que j’admirais le plus lors de nos conversations qui commencèrent vers la fin des années quatre-vingts et se poursuivirent sporadiquement sur une période de quinze ans, c’était son absence d’amertume, quels que fussent les revers ou déceptions. John Flynn avait toujours une autre histoire à raconter, trouvait toujours un nouveau film à tourner et de bonnes raisons pour le tourner, même dans des conditions précaires.
Robert Wise lui met le pied à l’étrier
Né en 1932 à Chicago, Flynn a suivi sa famille à Manhattan Beach. Engagé dans les gardes côtes à 18 ans, il s’inscrit dans l’école de journalisme de cette unité à Washington, puis à UCLA où il obtient un diplôme de lettres. Un professeur qui écrivait sur le roman et le Film Noir (ce qui n’était pas si évident dans les années cinquante) l’a profondément influencé à cette époque. Suffisamment pour qu’en 1958, Flynn se retrouve à jouer les grouillots sur le tournage de Odds Against Tomorrow / Le Coup de l’escalier. Roman de William P. McGivern, script d’Abraham Polonsky, une distribution comptant Ed Begley, Gloria Grahame et Robert Ryan : le jeune Flynn était déjà dans son jus. Wise prend alors Flynn sous sa coupe : il est « script supervisor » sur West Side Story, dirige les secondes équipes sur Kid Galahad, avec Presley, Two for the Seesaw avec Mitchum. « Bob Wise et J. Lee Thompson : je dois ma carrière à ces deux là » disait Flynn.
C’est encore Robert Wise qui lui met le pied à l’étrier à la fin des années soixante, lui permettant de diriger un petit film en Europe : The Sergeant (Le Sergent) – l’histoire d’un militaire de carrière dévasté lorsqu’il découvre ses sentiments envers une jeune recrue jouée par John Phillip Law. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre sa femme, Marie Dominique, avec qui il aura deux enfants. Ce qui explique sans doute une partie de ses goûts en matière de cinéphilie, volontiers francophiles. Flynn connaissait parfaitement la Série noire, il était le genre d’homme à avoir vu Le Cercle rouge dix-sept fois dans sa vie. Melville est une influence majeure dans son œuvre, et on la voit déjà dans Échec à l’organisation, mais ironiquement jamais mieux que dans la fin équivoque qu’il avait écrite à l’origine – scène qu’il essaiera (en vain également !) d’appliquer à la fin de Rolling Thunder.
Ses films sont tranquilles, limite taciturnes. Et il s’intéresse – chose qui ne peut que plaire aux Français – aux losers, aux excentriques et aux métiers peu loués. Il a par exemple fait en 1983 un film peu vu, Touched, sur un bozo de foire – le type qu’on fait tomber dans l’eau en tirant sur une cible avec des balles de son. Et c’est avec une fierté caractéristique qu’il vous disait avoir mis la main, au cours de ses recherches, sur l’homme qui avait inventé le curieux sacerdoce du bozo. En un mot, Flynn s’intéressait aux gens « bons à quelque chose », comme il disait : « bons à ce qu’ils font », qu’ils soient bons perceurs de coffres, bons terroristes, bons bozos ou bons tueurs à gages. Dans la vie, Flynn aussi était de ces hommes « bons à quelque chose », qui n’aimait rien tant que parler métier, méthode et bouts de ficelle.
James Wood, Dennis Hopper, Stallone pour acteurs
Ceux pour qui ou avec qui il tournait l’appréciaient suffisamment pour vouloir retravailler avec lui : quand le réalisateur prévu pour Lock Up fit faux bond, c’est James Woods qui recommanda Flynn à Stallone – et ce n’est pas le producteur Lawrence Gordon qui allait s’en plaindre : treize ans auparavant, quand Gordon décida que Paul Schrader était trop cinglé pour mettre en scène son script de Rolling Thunder, c’est à Flynn qu’il confia la tâche de transformer ce brûlot nihiliste en excellent film d’action et de revanche. Dans l’interview du vieux flibustier contenu en bonus dans l’édition Wild Side de Rolling Thunder, Gordon ne dit que du bien de Flynn et de son professionnalisme, tout comme Walter Hill dans le sien à propos d’Échec à l’organisation. Hill et Flynn étaient très proches à leurs débuts respectifs, partageant le même goût pour les innovations du cinéma européen et le classicisme américain. Le même respect aussi pour les acteurs de seconds rôles – particulièrement évident dans The Outfit. Hill souligne que son ami ne se considérait pas comme un scénariste, et qu’il n’avait écrit l’adaptation du roman de Richard Stark que parce qu’il n’y avait pas d’argent pour payer un scénariste. Il n’empêche, William Westlake (le vrai nom de Stark) considérait The Outfit comme le film le plus proche de l’éthique de travail de son héros Parker, et Robert Duvall, l’acteur le plus approprié à incarner son plombier-zingueur du crime – même si dans ses fantasmes les plus enfiévrés, il avait toujours vu Jack Palance dans le rôle, « pas tant pour son physique en coups de serpe que pour son manque total de second degré ». Contrairement à Lee Marvin, par exemple, qui demeure néanmoins l’archétype de Parker (Point Blank / Point de non retour, 1967). Le film de Flynn, sorti en plein été en France, fut largement ignoré par la critique. Les Cahiers du cinéma, en plein frisson maoïste, n’en parlèrent pas, et seuls Michel Sineux dans Positif et Louis Marcorelles dans Le Monde notèrent l’originalité du film et ses filiations. La distribution était hautement référentielle, peuplée d’icônes du film noir ou de gangsters de la grande époque. Mais c’est à un autre film, sorti le même mois aux États-Unis, qu’il faisait surtout songer. Le titre de travail du film de Don Siegel, Charley Varrick, était The Last of the Independents – titre qui aurait parfaitement convenu à Parker et sa lutte contre le crime organisé. Et les similarités entre les deux histoires ne s’arrêtaient pas là.
Des problèmes personnels (alcool et divorce) empêchèrent peut-être Flynn d’enchaîner immédiatement sur ces succès d’estime que furent The Outfit et Rolling Thunder. Defiance / Les Massacreurs de Brooklyn (1978) était un bon film dans le genre « seul contre tous » qui florissait alors avec Charles Bronson, et c’est un des meilleurs films de Jan Michael Vincent. Pacte avec un tueur (1987) le retrouve en forme, avec un scénario drôle et astucieux de Larry Cohen et des acteurs (James Woods et Brian Dennehy) qui rendent justice aux dialogues hilarants. Nails (1992) fournissait à Dennis Hopper l’occasion de jouer un de ses personnages de flic les plus dérangés – ce qui pour lui est déjà quelque chose. Ses autres films ont des acteurs plus faibles ou problématiques, mais Flynn faisait dans Absence of the Good un usage intéressant des extérieurs en Utah.
Il est évidemment tentant de confiner John Flynn à ses films des années soixante-dix, tant ils sont marquants et représentatifs de genres qui florissaient alors. Mais on peut aussi retourner l’argument et avancer que c’est le genre qui a évolué, et son économie, contraignant Flynn à s’adapter. Il n’empêche : Quentin Tarantino a un tel respect pour les scènes d’action de Rolling Thunder – en particulier l’hécatombe finale tournée en si peu de jours qu’il considérait comme la meilleure scène d’action jamais filmée par un Américain –, qu’il est allé se prosterner devant Larry Gordon un soir de remise d’Oscars. Ce qui devrait nous pousser à au moins examiner la question, et donner son dû à un homme qui en a eu si peu en France.
Philippe Garnier