Patrick Grandperret
Du 24 juin au 3 juillet 2016
En fuite
Certains cinéastes ont un parcours vagabond et mystérieux. Ils sont d’autant moins connus d’un vaste public que leur œuvre est essentielle pour des spectateurs qui ont rencontré sur leur chemin l’un de leurs films. C’est précisément le cas de Patrick Grandperret. Après avoir approché le monde du cinéma comme photographe sur des films de Jean Marbœuf et Jérôme Savary, il commence à réaliser et produire des courts métrages dans les années 70, et devient notamment assistant réalisateur pour Maurice Pialat. La rencontre avec le réalisateur de Loulou est déterminante et c’est avec une partie de l’équipe de ce dernier film que Patrick Grandperret réalise son premier long métrage en 1980 : Court circuits. Au centre du film, sa passion effrénée pour la moto. Il participa au début des années 70 à la Coupe Kawasaki et réalisa plusieurs films documentaires sur la moto et la voiture. C’est dire si Court Circuits est à la base un film documenté ou plutôt « documenteur » tant la part de vérité est intimement liée à la part de fiction. Gérald Garnier, ancien grand champion motocycliste, mit un terme à sa carrière après une chute dont il s’était relevé avec un bras définitivement invalide. Dans Court Circuits, il interprète son double fictionné s’enferrant dans une succession de problèmes pour entraîner de jeunes espoirs et donner corps à sa passion. Les dialogues, les gestes, les comportements des personnages du film sonnent incroyablement juste, on en oublierait presque la présence de la caméra. Pourtant, comme il l’explique dans une interview de l’époque(, la trajectoire de son héros est majoritairement reconstituée et le nombre de prises parfois assez élevé : « Ils avaient un texte, pas à suivre à la virgule, mais écrit pour chaque scène. Je ne les contraignais pas, je ne leur imposais pas d’intonation, je voulais leur laisser leur langage. Je ne jouais pas la scène pour eux car je me sais très mauvais comédien. Je tâchais de les mettre à l’aise dans une situation qui devait sortir d’elle-même, naturellement. J’ai refait dix-neuf fois un plan de Gérald où il ne disait que quelques mots : “Où est-ce que tu en es pour les motos ?” »
Huit ans plus tard, la moto cède la place au rock. C’est Mona et moi (Prix Jean-Vigo 1990), qui reprend cette même idée d’une résistance à la fiction classique pour mieux privilégier la sensation, le saisissement de moments arrachés au réel. Le cinéaste excelle à dresser le portrait de ces personnages en marge, incarnés avec une forme de romantisme angoissé (Denis Lavant et Sophie Simon), drôlerie (Antoine Chappey, l’acteur fétiche), et de charisme (avec la présence presque exotique ici du Johnny Thunders des New York Dolls !). Grandperret évoque ici la difficulté pour ses héros du quotidien de vivre leurs rêves et de fictionner leur vie.
Épisodes africains
Trois ans plus tard, s’amorce pour lui un virage inattendu, avec la sortie sur les écrans de L’Enfant lion (1992) adaptation du conte de René Guillot (Sirga la lionne) qui avait marqué son enfance et qu’a encouragé sa fille, Émilie. Les coulisses de ce film sont en soi légendaires tant le cinéaste n’avait pas bouclé le budget quand il commença la préparation et le tournage long d’une année en Afrique. À l’origine le film est loin d’être une superproduction. Au-delà des contraintes suscitées par l’utilisation des nombreux animaux du film, le défi était aussi de faire cohabiter un lion et un enfant dans le même plan. Tourné caméra à l’épaule, L’Enfant lion, à rebours des fables mielleuses du cinéma enfantin, est un film lumineux et animiste qui remporta un grand succès public. Grandperret enchaînera ensuite avec un autre épisode africain de sa filmographie. Le Maître des éléphants (1995), avec Jacques Dutronc, comprend quelques épisodes impressionnants (dont une impressionnante charge des grands mammifères, réminiscence cinématographique – Chang de Schoedsack et Cooper – autant que littéraire – Les Racines du ciel de Romain Gary) et installe le thème de la relation père-fils, qui sera déclinée plus tard dans La Musique de Papa ou Fui banquero.
Road movies
Histoire d’une machination, Les Victimes (1996), adapté de Boileau-Narcejac, doté d’un budget important et d’un gros casting (Dutronc, Lindon, Viard) paye son tribut pour son classicisme. Patrick Grandperret se retrouve éloigné des plateaux de cinéma pendant près de dix ans, jusqu’à l’adaptation d’un projet de Maurice Pialat imaginé d’après un fait divers des années 70 qu’il n’a jamais pu réaliser : Meurtrières (2005). Porté par l’énergie de ses interprètes (Céline Sallette et Hande Kodja) et la fluidité de la mise en scène, structuré en flash-back, le film évite cependant toute démonstration sociale, privilégie le thème du hasard (comme dans Mona et moi) et se retrouve parfois percé de trouées oniriques. Ce faux road movie en terre charentaise apparaît aussi comme la métaphore de l’impasse des personnages. De la même façon, mais très différemment, Fui banquero (2015), le dernier film en date de Patrick Grandperret, propulse aussi son personnage principal dans une errance imprévue même si elle est davantage constructive et prend l’apparence d’un rite de passage (après la mort du père), d’une initiation à un pays, une culture.
Avec les années, le cinéma de Patrick Grandperret est devenu plus voyageur, plus itinérant (notamment vers l’Amérique du Sud), intégrant des films pour la télévision (Inca de oro, Couleur Havane). La rétrospective de la Cinémathèque permet de redécouvrir une œuvre rare, qui s’est aussi prolongée par les films que le cinéaste a produits, dans un élan d’échange et de transmission (Nico Papatakis, Yann Dedet, Damien Odoul, Olivier Loustau, Nacer Maash, etc.)
Bernard Payen