Vittorio Storaro
Du 28 février au 5 mars 2018
À la poursuite de la lumière
Quand il parle de son travail, les mots sonnent comme une déclaration d'amour, comme s'il parlait à sa fiancée : il explique comment la lumière donne « corps » à ses œuvres, comment rendre concret un « état émotif » dans le cœur du spectateur, parce que lumière, ombre et couleur « sont des formes d'énergie qui n'arrivent pas seulement aux yeux mais à tout le corps du spectateur ». Vittorio Storaro n'est pas seulement amoureux de son travail, il a aussi passé sa vie à en démontrer l'importance cruciale dans le processus de création d'un film et pour imposer la reconnaissance du rôle décisif du responsable de la photographie, exactement comme les autres auteurs d'un film, le metteur en scène, le scénariste ou le musicien.
« Cinematografo »
Fils d'un projectionniste de la Lux Film (la maison de production de Riccardo Gualino qui a favorisé la renaissance du cinéma italien d'après-guerre), Vittorio Storaro se rappelle qu'assis dans la cabine près de son père, « il ne pouvait pas écouter la bande-son et a appris à regarder les images en s'efforçant de comprendre l'histoire du film ». Sa passion est née là, fortifiée par son inscription à seize ans (il était né à Rome le 24 juin 1940) au Centro italiano di addestramento cinematografico (CIAC) et, à dix-huit, au Centro sperimentale di cinematografia (CSC), dont il obtint le diplôme. Il commence à se convaincre qu'il faut reconnaître une dignité d'auteur à cette profession et qu'il faut remplacer la traditionnelle dénomination technique de « direttore della fotografia » (directeur de la photographie) par la plus cohérente « autore della fotografia » (auteur de la photographie), mot que Storaro remplacera par « cinematografo » (emprunté de l'anglais cinematographer), par opposition sémantique à « fotografo ».
En 1961, à vingt-et-un ans, il est le plus jeune cadreur du cinéma italien ; en 1969, il est directeur de la photographie pour Giovinezza giovinezza de Franco Rossi ; l'année suivante avec Dario Argento (L'Oiseau au plumage de cristal) et Bernardo Bertolucci (Le Conformiste, puis La Stratégie de l'araignée, après avoir été assistant sur Prima della rivoluzione), il commence une carrière qui l'a amené à remporter trois Oscars, un Emmy et à recevoir le Lifetime Achievement Award de l'American Society of Cinematographers.
Si la rencontre avec Bertolucci et son monteur, Kim Arcalli, l'a beaucoup aidé à réfléchir sur la rationalisation des processus créatifs et sur l'importance de la lumière et de la couleur, les résultats chromatiques de ses premiers films confirment le statut d'auteur de Storaro. Le contraste entre tonalités froides et chaudes des images du Dernier Tango à Paris constitua à l'époque une remise en cause révolutionnaire du goût dominant, et trouva son apothéose dans 1900 avec ses passages incessants de la lumière naturelle à celle artificielle des pièces (les maisons des riches sont illuminées par la chaleur des lampes à l'huile, celles des pauvres paysans plongées dans l'obscurité). Et cela pendant que les couleurs des saisons magnifiées par Storaro soulignent le passage du temps mais aussi la variation des sentiments qui rapproche ou éloigne les deux protagonistes.
Expérimentations
Les résultats extraordinaires de 1900 poussent Coppola, qui avait déjà pensé à lui pour Le Parrain II, à le solliciter pour la photo d'Apocalypse Now, d'après le récit de Conrad, où le choc du protagoniste face à l'inconnu trouve sa forme la plus suggestive dans les inventions visuelles de Storaro qui, non seulement souligne le conflit entre lumières naturelle et artificielle mais provoque aussi d'incroyables déchirures de couleur antinaturalistes comme « un câble électrique qui court à travers la guerre ». Oscar de la meilleure photographie. Coppola s'appuie encore sur lui pour sa vision suivante, Coup de cœur : Storaro utilise pour la première fois un régulateur de tension (une console de contrôle Dimmer) qui lui permet de varier la lumière pendant une même scène, secondant et guidant les ambitions créatrices d'un metteur en scène qui voulait faire coexister classicisme et expérimentation, fiction et réalité, musical et comédie.
Dans les années 1990, l'implication majeure de Storaro concerne le travail avec Carlos Saura : Flamenco, Taxi, Tango, Goya à Bordeaux, Don Giovanni, naissance d'un opéra, autant de films où il cultive visiblement son penchant pour une certaine virtuosité baroque déjà perceptible dans ses travaux antérieurs. Surtout, il expérimente avec Saura de nouvelles technologies, électroniques ou numériques, qui l'amènent à mettre au point, avec son fils Fabrizio, un nouveau format de prise de vue, où la base est le double de la hauteur (2 : 1), nommé d'abord Univision, puis Univisium, expérimenté pour la première fois pendant le tournage de Taxi et qui permet, selon lui, de retrouver le sens de l'harmonie que l'art grec avait poursuivi pendant des siècles.
Son enseignement à l'Accademia della arti e delle scienze dell'immagine de L'Aquila et la réflexion théorique (qui a trouvé sa forme définitive dans les trois volumes de Scrivere con la luce, Mondadori Electa, 2003) ne l'ont pas éloigné des plateaux de cinéma. Il a récemment commencé une nouvelle liaison professionnelle avec Woody Allen, Café Society d'abord, bientôt Wonder Wheel et l'encore mystérieux « Untitled Woody Allen Project 2018 ».
Paolo Mereghetti