En exposant dans ses films le corps dénudé et voluptueux de ses actrices, et notamment leurs poitrines opulentes, Russ Meyer a secoué l'Amérique puritaine post-fifties, posé les bases d'un cinéma érotique et marqué les esprits par ses cadrages sophistiqués et ses amazones en cuir. « Même sans générique, un film de Russ Meyer est instantanément reconnaissable » a déclaré John Waters. Si cela ne suffit pas à être un grand cinéaste, c'est en revanche la marque d'un univers unique, ce qui a son prix. Essentiellement fondé sur la parodie, l'exubérance mammaire, la comédie de mœurs et la violence graphique, les films de Russ Meyer ne sont destinés qu'à amuser. Mais en filigrane ils peignent aussi une Amérique marginale, des petites villes ou rurale (à l'exception des films tournés pour la Fox), et passablement retardée, où tous les personnages masculins sont crétins ou malfaisants, les femmes étant maîtresses du jeu. Réalisé pour 46 000 dollars, tourné dans le désert de Mojave, Faster, Pussycat! Kill! Kill! sort sur les écrans américains en février 1966 à Dallas et connaît un très grand succès, notamment dans les drive-in où son exploitation sera très longue. Russ y affiche son goût pour les « good lines », les bonnes répliques, énormes de « mauvais goût » parodique. L' Amérique des teenagers sympathiques et délurés y est allégrement bousculée, violentée, frappée à mort par un trio féminin diabolique qui incarne, dans cette sombre épopée de violence et de cruauté, le refus du bon goût et des bonnes manières. L'auteur du scénario et des dialogues, Jack Moran, est un vieux briscard du cinéma. Le cinéma de Russ Meyer n'a pas que des liens esthétiques avec la série B américaine ou les thrillers ; mais il exagère les situations, les personnages, la violence, la comédie. En ce sens aussi, Russ Meyer et ses films, étant démesurés, sont profondément américains. Cléopâtre de Mankiewicz, La Bible de John Huston, Docteur Doolittle, Hello, Dolly! et surtout Star, avec Julie Andrews, échec total au box-office, avaient mis la Fox en réelle difficulté. Le rapport financier fantastique opéré par Vixen qui, pour une mise de 72 000 dollars, avait rapporté 7,5 millions de dollars, ne pouvait manquer d'intéresser une Major Company comme la Fox. En 1967, elle avait produit La Vallée des poupées, réalisé par Mark Robson. Russ Meyer, avec Beyond the Valley of the Dolls (stupidement titré Orgissimo en France) réalise alors non seulement une parodie d'Hollywood mais une caricature du film hollywoodien. Pendant le tournage, il n'a expliqué à personne qu'il s'agissait d'une parodie et demandé aux acteurs de jouer au premier degré, comme s'il s'agissait d'un mélodrame. Il fait encourir à la Fox les foudres des ligues de décence mais lui apporte un énorme succès : la jeunesse jubile devant cet univers tragique, à mi-chemin entre horreur et roman-photo, entre violence paroxystique et ironie, et reprend les chansons marquées par le rock psychédélique alors en vogue. Avec Supervixens et Megavixens, Russ Meyer retourne ensuite à son univers personnel inspiré de la bande dessinée (notamment Lil' Abner et Little Anny Fanny), où la violence est délirante, où toute une humanité vit de façon instinctive et brutale. Constamment paroxystique et empreint du surréalisme érotique le plus effréné, dans les séquences érotiques de ces films il se moque de ce voyeurisme qu'elles devraient stimuler. C'est là tout un moment du cinéma américain, monde marginal peut-être mais impérieusement affirmé, monde sans lequel Hollywood-Babylone n'aurait pas été ce qu'elle a été.
Jean-Pierre Jackson
« De mon point de vue, le meilleur exemple de violence sexuelle déchaînée et fétichiste au cinéma. » (Nicolas Winding Refn)
Cinéaste indépendant qui a tout au long de sa carrière tourné, monté, produit ses propres films, Russ Meyer est considéré comme un « auteur » majeur du cinéma bis. Ayant influencé Andy Warhol et John Waters, qui le considérait comme « l'Eisenstein du sex film », il emploie souvent les mêmes motifs qui s'apparentent à la bande dessinée : femmes voluptueuses plus grandes que nature face à des hommes idiots, infirmes et/ou pervers. Faster, Pussycat! Kill! Kill! est réalisé sur le même modèle que son précédent film (Motorpsycho) qui mettait en scène trois motards dans une traversée meurtrière du désert californien. Meyer a l'idée de remplacer son casting d'hommes par des femmes. Par le biais du divertissement, le cinéaste dépeint, selon Jean-Pierre Jackson, une Amérique « marginale, rurale et retardée ». Les premières images du film proposent un montage rapide sur le déhanché des trois héroïnes filmées en contre-plongée face aux visages grimaçants et ivres des hommes de l'assistance. Les trois stripteaseuses sont ensuite propulsées dans le désert Mojave au volant de bolides lancés à toute allure. Le film, devenu un classique du genre, a la particularité de montrer des femmes féroces, capables d'anéantir des hommes à mains nues. Il révèle Tura Satana interprétant le rôle de Varla, grande brune plantureuse au regard assassin. Tournant dans un noir et blanc qui magnifie la poussière du désert de Californie, le cinéaste impose son style entremêlant habilement une fascination pour ses sujets, des répliques humoristiques et un propos mettant en avant une égalité des sexes reposant sur un même degré de cruauté.
Sarah Ohana