Diaboliquement vôtre
A la sortie, le film ne recueille guère les faveurs, même si, s’agissant d’une œuvre posthume, beaucoup restent nuancés. " Le monde ", presque pudique, note que "Le caractère "shakespearien" de l'épilogue risque de faire sourire les mauvais esprits". " Film relativement attachant et soigné ; cette adaptation d’un roman noir, mise en images avec un certain goût, celui du jour... a pour mérite essentiel de fournir à Alain Delon l’un de ses meilleurs rôles. Faisant miroiter toutes ses possibilités, badinage, tendresse, peur, émotion, mélancolie, angoisse, désir, notre jeune premier fournit là un excellent travail et l’interprétation tant vantée du " Samouraï ", monocorde, demandait bien moins à l’acteur (la qualité du film étant hors de question)... Mécanique ingénieuse, avec des moments de suspense assez forts, des surprises-chocs comme il se doit et un retournement final imprévu. Et aussi de grosses ficelles et des invraisemblances voyantes. Spectacle point désagréable si l’on veut bien ne pas songer un instant aux implications psychologiques et aux ambiguïtés absentes ici et dont le gros Alfred nous eut régalé ". D’Hitchcock, il est aussi question dans " Combat " : "Faut-il fusiller Hitchcock pour avoir inspiré à Julien Duvivier un film aussi biscornu... ?... La tentation de flatter le goût bourgeois se manifeste aussi dans le décor, et cette nostalgie du paradis perdu des coloniaux désoeuvrés et parvenus...". Henri Chapier, toujours dans "Combat", comme pour nier l'évidence, feint de voir dans le film "en filigrane - une sorte de poème dédié à Delon, à sa grâce, à son allure d'adolescent : à 10 ans d'intervalle, c'est le portrait romantique et juvénile de "Plein soleil"". D’autres, quelques mois avant mai 1968, tirent le film dans des sens très inattendus, comme " Minute " : "Il n'y a rien d'incroyable à ce que le subconscient d'un rombier, sous l'effet d'un traumatisme psychique consécutif à un accident d'auto, soit perturbé par un bourrage de crâne électromagnétique. Lequel n'est, d'ailleurs, qu'une transposition artisanale de la méthode Coué de gouvernement exploitée, à l'échelon national, par le régime gaullien de l'ORTF, lorsque nos speakers de persuasions nous serinent des refrains obsessionnels... ". " Positif " consacre au film deux points de vue, diamétralement opposés - mais sur des sujets diamétralement différents : " Il existe certains films pour lesquels il faut plaindre le metteur en scène astreint à un tel pensum - réalisateur fourvoyé au milieu d’une intrigue insauvable et de comédiens ridicules. C’est un peu dans cet ordre d’idée qu’il faut déplorer la présence au générique de " Diaboliquement vôtre " de Henri Decae dont la magnifique photographie jure totalement au sein d’une œuvre imparablement marquée du sceau de la médiocrité. Par ailleurs, il est maintenant inutile de se complaire à des attaques posthumes contre Julien Duvivier L’oubli sera sans doute plus rapide à son égard, que les critiques de ses films à se faire toujours entendre... ". Dans la même revue, Georges de Coulteray livre une sorte d’ode au personnage, de fait troublant, incarné par Peter Mosbacher : " Le costume [de Kim], maoïste mais noir, sans doute par un subtil désir d’anarchie morale, une déférence glacée en surface mais aux profondeurs brûlantes, tout annonçait des amours non pas suivant mon goût, qui irait plutôt à l’inverse, mais selon mon cœur. Lorsqu’on apercevait encore Peter Mosbacher... nettoyer amoureusement les escarpins de sa maîtresse, tailler des robes sur un mannequin à ses mesures, coudre délicatement sa lingerie la plus intime ou bien encore laver et étendre des slips multicolores, on ne pouvait manquer d’être édifié et d’autant plus captivé que la beauté fragile et perverse de Senta Berger était tout à l’opposé de la stature prêtée trop habituellement à la " dominatrice ". Sans doute y-a-t-il là un rappel de la dévotion que vouait, dans " Sunset Boulevard ", le chauffeur, ex-amant et homme à tout faire Eric von Stroheim à Gloria Swanson... mais la sujétion mise en scène par Duvivier est plus absolue encore. Mosbacher, sans jamais abandonner le calme et l’ironie un peu distante que donne la pleine conscience et la parfaite acceptation des passions, saura aller jusqu’au bout de sa soumission.... Je veux croire qu’à l’heure de ce trépas, loin des mystères d’un Orient assez admirable pour forger des êtres au déséquilibre aussi sublime, prosterné devant la femme-idole par laquelle il avait très justement remplacé les simulacres de son Asie, ce parfait héros découvre sa récompense méritée, l’extase d’un parfait accomplissement. Croyez-moi, cette volupté n’appartient qu’aux grands ".