La Fin du jour
L’accueil critique que reçoit le film est parfois tranché, que résume bien " La cinématographie française " : " La seule réserve à faire à ce film est dans la recherche de personnages presque tous antipathiques et d’une tristesse confinant à la morbidesse. Mais la grandeur et la réussite artistique font tout accepter ". " Nous louerons M. Duvivier d’avoir bravement traité le sujet qui occupait son esprit et d’avoir délibérément négligé les considérations d’ordre commercial ", écrit Comœdia, tandis qu’un autre semble proche du contresens - du moins pour ce qui est de l’intention des auteurs : " Julien Duvivier et Charles Spaak ont parfaitement réussi à nous rendre leurs personnages odieux, à nous communiquer un immense désir de fuir la compagnie de ces demi-morts incorrigibles, de respirer le grand air et de jouer avec les petits enfants... Fort heureusement, Julien Duvivier est davantage un homme de métier qu’un poète. Ce virtuose de la caméra s’attache moins au fond du sujet qu’aux effets extérieurs qu’il en tire ". " Révolution " va dans le même sens : "Rarement, on a accumulé dans un film plus de noirceur et de vérité ; rarement, on a eu l'audace d'aller jusqu'au bout de la cruauté humaine ; rarement, on a eu le triste courage de montrer les hommes tels qu'ils sont, lorsqu'ils restent toute leur vie des enfants, qu'ils portent en eux des désirs inapaisés, des rancœurs impossibles à assouvir, des ressentiments, des haines mortelles". Et Pierre Wolff sanctionne bien malgré lui cette réussite dans la déchéance : " " La fin du jour " n’est pas une histoire mais une tranche de vie, la vie de vieux comédiens dans une maison de retraite. Et c’est parce que cela est profondément triste que je considère ce scénario comme une mauvaise action... En vérité, les mots ne viennent pas. Je pense à ces comédiens de Saint-Jean-La-Rivière - disons Pont-aux-Dames - qui cherchent l’oubli. Je pense à ces vieux comédiens que le sort n’a point favorisés, à d’autres qui ont cru, un peu à la légère, que le succès leur permettrait de vivre, jusqu’à leur dernière heure, dans l’opulence. Je pense à leurs souffrances morales surtout... Ce scénario de M. Spaak et Duvivier contient, au début, de fort jolies scènes - je préfère de beaucoup la première partie ;du film à la seconde - émouvantes parfois, néanmoins assez éloignées de la vérité. J’aurais souhaité qu’on ne nous montrât pas la déchéance de ces vieux comédiens. Vieillir n’est pas un crime : pourquoi rappeler à ces vieux acteurs que leur tâche est finie, pourquoi leur prêter des sentiments qu’ils n’ont pas ? ". Beaucoup moins apitoyé, Steve Passeur trouve le film " d’une sensiblerie pénible, d’une invraisemblance criarde ", et Georges Champeaux, dans " Gringoire ", le compare défavorablement avec le précédent opus américain de Duvivier : " Autant un ouvrage comme " Toute la ville danse " donne l’impression de la création heureuse, autant " La fin du jour " sent l’huile.. " La fin du jour " est, à " Toute la ville danse ", ce qu’est un pudding à une crème ". Mais, comme souvent, c’est François Vinneuil qui se montre le plus vindicatif, quoi que plutôt indulgent, et la nature de ses " arguments " en dit long sur le climat de l’époque : " Dans tout le cinéma d’Europe et sans doute des Etats-Unis, il y a peu de figures aussi foncièrement comiques que celle de monsieur Michel Simon, calviniste genevoix... M. Duvivier se fait le plus souvent des hommes et des événements une image trop conventionnelle... Malgré un ton de réalisme assez vigoureux, il semble que M. Duvivier ait hésité aussi devant certaines cruautés de son sujet. Sans Michel Simon, ce serait un film honnête. Mais il y a monsieur Michel Simon, farceur, hâbleur, joyeux, coléreux, en perpétuelle révolte contre la plus débonnaire discipline, et qui est le vieux farfadet du château, l’âme délicieuse et tout l’ouvrage... Monsieur Victor Francen, épouvantable braillard de toutes les juiveries bernsteinniennes, a été choisi - le goût de M. Duvivier a toujours manqué de sûreté - pour représenter le grand et noble acteur classique, dont le génie discret est resté méconnu ! ". C’est Emile Vuillermoz, dans " Le temps ", qui se montre le plus judicieux sur la construction même du film : " Une heure trois quarts d’attention sans entractes représente un effort physique considérable pour les spectateurs des salles obscures. Il est donc nécessaire de leur pincer périodiquement le cœur pour les empêcher de somnoler. Et c’est ce qui engendre ces anecdotes déséquilibrées, trop chargées, trop riches, trop bourrées d’événements complaisamment rassemblés contre toute vraisemblance... Des sketches trop ingénieux dans lesquels l’astuce de composition est trop sensible ".