Marie-Octobre
La critique est partag�e, mais plut�t froide, � l�image du d�faut dont elle accable principalement le film. Dans " Combat ", Pierre Macabru indique : " C�est bien un jeu que nous propose Julien Duvivier, un jeu auquel nous n�arrivons pas � participer compl�tement, et quelle que soit notre bonne volont�, tant sont rigides les r�gles qui le r�gissent. Tout est pr�cis�, affirm�, signifi�, de telle fa�on, avec une si constante application, qu�il devient impossible de se passionner pour le d�roulement d�une intrigue que l�on sait prot�g�e des hasards. Ce n�est plus alors qu�une sorte de partie d��checs dont on conna�trait toutes les figures et tous les d�tours. L�int�r�t devient machinal, comme est machinale la mise en sc�ne. On passe le temps... Pas un instant, on ne peut croire que les r�pliques appartiennent r�ellement � ceux qui les prononcent ; elles sont plaqu�es, artificieuses, roublardes, manifestations multiformes d�un bavard unique : Jeanson... Cette dictature du dialoguiste, dictature qui est une des plaies du cin�ma fran�ais, suffisait � placer " Marie-Octobre " bien au-dessous de " La corde " et de " Douze hommes en col�re ", mais il y a encore le style guind� et froid de Duvivier... Cela donne un film aussi vide que consciencieux. Une �uvre inhabit�e ". M�me comparaison et m�me d�faveur dans " Le monde " sous la plume de Jean de Baroncelli : " On ne manquera pas de comparer ce film au fameux " Douze hommes en col�re ". Et apparemment, en effet, la situation est similaire : enferm�s dans une pi�ce, des individus appartenant � diff�rentes classes de la soci�t� recherchent en commun une certaine v�rit�. Mais l� s�arr�te l�analogie... Dans " Marie-Octobre "... c�est un coupable que les personnes pr�sentent s�efforcent de d�masquer, un coupable qui se trouve obligatoirement au sein de l��trange conclave... Oui, cette histoire est ing�nieuse, et l�on s��tonne de ne pas �tre davantage pris, passionn�, captiv� par le film de Julien Duvivier On " marche " certes, et l�on tombe volontiers dans les petits traquenards que nous tend le r�alisateur. Par amour du " sport " on cherche des solutions au probl�me, on �labore des raisonnements. Mais notre attention demeure superficielle. Nous ne participons que de loin, en amateurs, au drame qui se d�roule sous nos yeux.... A cette quasi-indiff�rence il y a... plusieurs raisons. La premi�re est que les h�ros de " Marie-Octobre " ne sont gu�re attachants. Ce sont moins de vrais personnages que des types humains dessin�s � gros traits... La mise en sc�ne de Julien Duvivier accentue cette impression d�artifice. Elle est trop pr�cise, trop parfaitement agenc�e, trop m�canique. Le d�cor, d�autre part, donne f�cheusement l�impression d��tre une sc�ne de th��tre. Les acteurs se groupent et se d�placent dans ce d�cor selon de pures conventions th��trales ". Les personnages laissent la m�me impression de malaise � " Radio Cin�ma " : " " Il [Duvivier] conduit son r�cit avec beaucoup de soin et de pr�cision - peut-�tre m�me avec trop de pr�cision, puisque celle-ci joue souvent au d�triment de notre participation � l�action. En d�autres termes, cette histoire, o� l�honneur et la vie d�un homme sont en cause, ne parvient pas � nous �mouvoir r�ellement. La m�canique tourne rond : pas une parole en trop, pas un mouvement de cam�ra, pas un d�placement d�acteurs inutiles. Tout est parfait. Mais le spectateur ne s�y trompe quand m�me pas... Et puis, il faut bien dire que cette confrontation tardive d�anciens r�sistants qui ont lutt�, trembl�, souffert ensemble laisse une impression p�nible... Tant d�acharnement � vouloir " laver ce linge sale " pour aboutir � une vengeance que l�on devine sanglante d�s le d�but de la confrontation, voil� qui g�ne le spectateur persuad� que ce " r�glement de comptes " entre gens dont le courage fut d�montr� ne changera plus rien au destin de la France... ". " Le Canard encha�n� " lui non plus n�est pas enthousiaste : " Julien Duvivier n�est qu�un habile homme sans aucune �tincelle de g�nie, r�alisateur � tout faire, et en tout genre. Travail honn�te et soign�, en noir et en couleur, ex�cut� dans les d�lais, livr�s dans la bo�te avec le label. Unit� de lieu, unit� de temps. Il y avait une bonne pi�ce de th��tre � �crire. Le film n�est que moyen... Le d�cor a des dimensions de cath�drale, inutilement, et la photo m�a paru bien noire... Le film laisse insatisfait, malgr� que [sic] tout le monde ait fait de son mieux ". Robert Chazal, rarement aussi pugnace, ex�cute ainsi dans " France-Soir " : " Un film pr�par� � la r�gle � calcul. Un r�bus en forme de probl�me de g�om�trie. Julien Duvivier a choisi de conter cette histoire... avec le sang-froid et le d�tachement des chirurgiens. Il taille, il coupe, il recoud aussi avec maestria, sans jamais laisser deviner la moindre �motion. C�est du suspens anesth�si� ". Et le critique d� "Arts ", en l�esp�ce Luc Moullet, a beau jeu de vilipender un aussi parfait exemple de la " qualit� fran�aise " : " Suspense de la devinette, si commercial en notre France cart�sienne o� " Douze hommes en col�re " remporta son plus grand succ�s, adjoint d�un in�vitable pr�texte � d�bats oiseux : a-t-on le droit d�abattre le tra�tre ? Mais " Marie-Octobre ", � l�encontre du " Dos au mur " par exemple, ne respecte pas les r�gles, ici celles de la partie d��checs : on e�t pu arr�ter le film apr�s trois bobines, car le sc�nario s�attarde au hasard et inutilement sur divers personnages pittoresques sans que cette attention puisse servir la logique du d�nouement. La cam�ra erre dans l�unique pi�ce, mais son mouvement ne r�ussit jamais � rendre, comme dans " La corde ", la sensation d�espace ou de vase clos. Les acteurs ne sont jamais dirig�s lorsqu�ils ne parlent pas : ils semblent dormir debout., et lorsqu�ils parlent, �a tourne � la catastrophe. Le cin�ma fran�ais " qualit� ", illustr� par Grangier, Delannoy, Decoin et Julien Duvivier qui, ici, par son application un peu gauche, appara�t plus sympathique que ses confr�res, part toujours des bons mots et des r�pliques tragiques invent�s par un sc�nariste patent� - Henri Jeanson - en l�occurrence - et qui sonnent toujours plus faux que le faux. L�erreur de ce cin�ma fran�ais est donc de chercher dans le jeu le naturel et l�instinct, plut�t que le faux qui, l�exemple des " Cousins " nous l�a enseign�, est ici la seule v�rit�... Seuls, les impassibles, Paul Guers et Meurisse, et les cabotins excessifs, comme Roquevert, peuvent alors tirer leur �pingle du jeu. Par contre, Danielle Darrieux, entre autres, ne fait strictement rien, et le fait mal par surcro�t. Ce ne sera pas d�voiler un grand secret que de dire du personnage interpr�t� par Reggiani qu�il est le tra�tre, car les seules conventions cin�matographiques nous l�ont fait supposer d�s la maladroite pr�sentation des personnages, avec cette psychologie d�cadente du petit groupe grossi�rement typ�. Et surtout, je crois que si l�on conna�t le d�nouement, un suspens second et combien plus riche pourra passionner... Nul geste - tout juste deux bribes de dialogue - ne peut confondre Reggiani, car Duvivier l�a fait jouer comme les autres acteurs. Au fur et � mesure du film, le spectateur attentif au jeu d�couvrira, passablement stup�fait, que l�assassin ne peut �tre coupable ". Et, en �voquant les " films de jeunes ", Denis Vincent dans " L�express " ne dit pas autre chose : " Son [Duvivier] dernier film... en a co�t� 150 [millions de francs], devis modeste si on le confronte au g�n�rique o� se succ�dent vedettes, acteurs et collaborateurs " chers "... " Marie-Octobre " est tr�s exactement le contraire de l�amateurisme, de l�inspiration, de la folie, de la gr�ce, le contraire d�un " film de jeunes ", dans ce que ces films ont de pire et de meilleur. Alors... Hitchcock ? Non, car la trame polici�re est l�, s�che, ne servant aucun dessein... Et nous sommes plus loin encore, malgr� une analogie de forme et de proc�d�, de " Douze hommes en col�re " qui, � partir d�un cas particulier, allait � l�universel et en tout cas � l�humain, alors que " Marie-Octobre " reste l�aventure strictement individuelle de quelques personnages sans chair et sans �me ". Sans doute �tait-il trop t�t pour gloser sur la dimension politique du film, ce que, dans un article de " Positif " consacr� aux relations entre Jeanson et Duvivier, Philippe d�Hugues fera avec une grande finesse : " Les h�ros sont peu situ�s politiquement, � l�exception de l�avocat d�extr�me-droite interpr�t� par Bernard Blier... qui mentionne son appartenance au comit� France-Allemagne de Fernand de Brinon (notons qu�en 1934 il n�y avait ni cagoule ni cagoulard)... Jeanson ne s�autorise qu�un peu d�anticl�ricalisme dans la bouche de l�avocat d�extr�me-droite, qui appara�t un peu dans l�histoire comme son propre porte-parole. Quant au Jean Moulin du film, qui s�appelle ici Castille, il a fait partie des corps francs en 1940 ; Jeanson s�amuse � brouiller les cartes, et son point de vue sur la r�sistance appara�t sans doute dans cette r�plique : " Une aventure insens�e, pour rien, pour l�honneur ". Son pessimisme rejoint celui de Duvivier, et ne trouve d�issue que dans la futilit�, comme celle de Paul Frankeur, tout � son match de catch... Ce catch, m�taphore de l�action qui se joue sous nos yeux entre les protagonistes (il n�y a pas d�autre explication � sa pr�sence insistante et un peu d�plac�e) constitue un proc�d� tr�s lourd, principale erreur d�un film o� se retrouvent par ailleurs les qualit�s habituelles du sc�nariste et du metteur en sc�ne ".