Sous le ciel de Paris
La critique est peu enthousiaste, qui souligne les parti-pris du scénario, ainsi " L’aube " : " Par la grâce de ses images, le film de M. Duvivier mérite d’être vu. L’insuffisance du scénario fait qu’on n’en tirera pas toute la joie que l’on voudrait... Tout cela est fait, préparé, conduit, pour nous vanter la beauté de Paris, mais il faut bien dire que l’ensemble n’est pas convaincant. Toutes ces histoires pourraient se passer identiquement ailleurs. Le dialogue, les chansons, sont d’une mièvrerie pénible. Ne craint-on pas d’être ridicule dans certaines façons de vanter Paris ?... Avec un scénario moins systématique, plus logique et moins dur, avec moins de pommade aussi, son film aurait davantage pris de signification ". Même déception dans " Le monde ", sous la plume d’Henry Magnan, plus tempérée cependant : " " Sous le ciel de Paris " manque probablement d’exigences et surtout de retenue verbale... Eut-il dans le cas contraire présenté certaines de ces qualités et surtout l’heureuse profusion qui nous donne l’illusion d’un documentaire dont nous posséderions les clés anecdotiques ? Il est permis d’en douter... Il est à craindre que certains épisodes du film vous fâchent : facilité, lieux communs. Je suis certain que d’autres vous consoleront. Poésie naturelle, sincérité. Ici des étudiants de pacotille ; là des gamins bouleversants... Regrettons les défauts évidents de " Sous le ciel de Paris "... mais, répétons-le, ce même film sans eux pourrait fort bien ne pas montrer autant de qualités ". " Opéra " est beaucoup plus critique : "On espérait... un film où les hommes ne seraient que des ombres sur les pierres des maisons ou l'asphalte des rues ; un film où Paris ne serait vu ni comme les américains le voient derrière les vitres de leurs cars ni comme le cinéma réaliste le montre habituellement. Il fallait éviter ce qu'on appelle au cinéma la poésie et aussi cette vulgarité qu'on ne sait trop pourquoi le cinéma français attache trop souvent à son char, comme une esclave... Malheureusement, Julien Duvivier, ayant acheté un journal du soir, a dû se dire : Stendhal a pris ses leçons de style dans le code Napoléon ; moi, je vais les prendre dans cette feuille. Aussi serai-je sûr de ne pas manquer mon public. Je me demande à quoi sert d'installer une caméra dans la rue... s'il ne s'agissait que de faire passer devant cette caméra des personnages dont les conventions se fussent très bien accommodées des mensonges du studio... Prendre avec courage et froideur le parti des pierres eut été un beau pari. Mais c'est encore à celui du cœur que Duvivier se rallie". " L’écran français " estime cependant que Duvivier est sur la bonne voie : " Voici un beau film français digne du Julien Duvivier de la grande époque, celle de " La belle équipe " je veux dire... Avec " Sous le ciel de Paris ", Duvivier est sorti du tunnel. Il s’y était engouffré avec " Panique " et, jusqu’au tout récent " Black Jack " compris, nous pouvions craindre qu’il ne sache plus s’en évader. Son dernier film est encore barbouillé de noir par endroit, sa fréquentation des ouvriers est encore maladroite, mais réjouissons-nous : voici Duvivier enfin à l’air libre, le voici joyeux et tendre qui se frotte les yeux au milieu du peuple parisien. Il a soudain rajeuni de treize ans... On s’aperçoit qu’en réalité Duvivier a construit le portrait de Paris autour de deux verrues : deux faits divers, ce qui est un procédé pictural bien conventionnel... et qui ne peut que fausser le caractère du portrait... C’est ce manque de confiance en la saveur propre des "simples " histoires (captivantes sans être pour autant des faits divers) qui a imposé la contestable intrusion du Destin dans ce film. Il a traîné sur tous les écrans, ce maquereau métaphysique, et nous en étions presque débarrassés ! Le revoici, préparant dès le début du film le coup de revolver final. C’est la barbouille du tunnel. Dommage... " Mêmes regrets outre-quievrain, dans " Le soir de Bruxelles " : " " Sous le ciel de Paris " porte cette estampille des grandes firmes. A bien des égards, on n’en sait trop quoi louer, la composition de l’image, le charme des interprètes, la mise en valeur de tant de lieux de la capitale française. Puis vite, on bute sur le contenu équivoque de ce récit, sur le trop habile mélange destiné en principe à satisfaire tous les palais, sur ce cocktail qui assemble les topos populaires, le goût de la sensation, le faits divers sadique, sans oublier la grande couture ". Et c’est, étrangement, Claude Mauriac, dans un beau texte de son livre " L’amour du cinéma " qui rendra justice aux amoureux du film : " Les censeurs de " Sous le ciel de Paris " ignorent la nature même de l’œuvre d’art, qui est de lier en gerbe les moissons du hasard. Rien n’empêche un artiste de suivre deux existences qui s’ignorent, et d’autres encore, vouées, parallèlement, à mourir ou à vivre l’une par l’autre. Connaissant le point où se rejoignent ces fils ténus du destin, Duvivier, avant de commencer son récit, démonte la machinerie compliquée de la mort ou de l’amour. C’est-à-dire qu’il remonte le temps et s’arrête en un certain point à partir duquel il choisit de commencer sa narration (ici le lever du jour) : c’est le cas où jamais de dire qu’il n’aura plus qu’à suivre le fil. Refuser son postulat, c’est se priver de belles émotions, car à peine l’avons-nous accepté que nous ne pouvons qu’en croire nos oreilles et nos yeux. Postulat qui est inconcevable pour l’homme enchaîné au temps, mais non pour l’artiste, libre créateur qui ne doit de comptes à personne ".