The Eye in the Sky : Brian De Palma, un cinéma d'hauteur
D'emblée (la fin des années 60) et jusqu'à aujourd'hui (Passion, 2012), et demain encore assurément, la mise en scène de Brian De Palma ne cessera jamais de jouer au jeu du chat et de la souris. Mais dans une version où les rôles s'inversent sans cesse : tel est pris qui croyait prendre...
Split screens, double focales, ralentis, panoramiques à 360°, plongées et contre-plongées, multiplication des angles et des axes, caméra aérienne, autant de façons d'exposer une mise en scène ou de résumer tout le réel à sa seule mise en scène. En somme, tout un dispositif sophistiqué de signes comme autant d'indices qui donnent au spectateur l'illusion de son omniscience : si tout le réel tient dans sa mise en scène comme dans une boîte, alors rien n'est censé échapper à celui qui regarde dans la boîte. De Palma n'aime rien tant que balader le spectateur-voyeur, lui faire faire le tour du propriétaire, aiguiller son regard et désigner un détail (pour mieux en dissimuler un autre). N'est-ce pas le sujet même de Body Double ?
La plongée à la verticale tient une place de choix dans le feu d'artifice à la De Palma. C'est même un motif récurrent de son œuvre, motif souvent un peu vite interprété comme un hommage à Hitchcock (le générique d'ouverture de La Mort aux trousses, l'escalier de Psychose, la tour de Vertigo, l'orgue de Secret Agent...). Dans l'économie visuelle du cinéma de De Palma, c'est aussi la ruse ultime : le point de vue zénithal semble faire de chaque spectateur un dieu. Rien ne lui échappe apparemment, tout est donné à voir et tout est vu, l'avant-plan comme son double fond. Mais ce phantasme de toute puissance lui fait oublier son infirmité constitutive : le spectateur, comme un personnage de De Palma, n'a pas d'yeux dans le dos (s'il en était autrement, Carlito serait toujours vivant...). C'est là, dans son dos, que De Palma se tient, et avec lui le vrai tout de sa mise en scène : il y a toujours quelqu'un ou quelque chose qui regarde celui qui regarde. Tel est pris qui croyait prendre... Comme dans un jeu de miroirs, ou dans cette peinture de Magritte (La Reproduction interdite), on est toujours vu en train de voir comme « l'œil était dans la tombe et regardait Caïn » (Victor Hugo, La Conscience).
Bernard Benoliel est directeur de l'action culturelle et éducative à la Cinémathèque française.
Xavier Jamet est responsable web à la Cinémathèque française depuis 2007. Il est co-fondateur du site DVDClassik et collabore au magazine Soap.