Kubrick est fasciné par les face-à-face intellectuels ou physiques (échecs et boxe sont deux de ses passions). Il les conçoit surtout comme des combats contre soi-même.
Le soir du vendredi 25 octobre, Davy Gordon remet son titre de boxeur en jeu. 88 victoires, 9 défaites, mais ses 29 ans pèsent lourd face au jeune Kid Rodriguez. Il combat pour sa carrière mais aussi pour son avenir.
Le combat ne dure que trois minutes, mais la violence documentaire de la scène est remarquable. En 1949, Kubrick avait fait un reportage photo sur un boxeur (1), à partir duquel, deux ans plus tard, il réalise un documentaire (Day of the Fight (2)). Plusieurs plans du Baiser du tueur semblent directement issus de ce court métrage : le bandage des mains, le massage, l'échauffement...
La mise en scène du Baiser du tueur souligne la brutalité de la lutte. Kubrick plante sa caméra sous le tabouret de l'un des combattants. Le plan est ordonné et permet une vue en miroir sur l'autre boxeur. Le match commence et le cinéaste filme alors ses personnages au ras du ring avec force et précision. Le plan géométrique disparaît au profit du chaos de la mêlée brutale. La caméra colle aux boxeurs. L'ambiance sonore est saturée par les coups, le souffle des protagonistes et les encouragements de la foule. La caméra devient subjective ; elle rebondit contre les cordes avec les boxeurs. Les cadrages en contre-plongée accompagnent le héros dans sa chute. Le montage coupe les corps en morceaux. Il n'y a aucun plan général, aucun recul qui puisse reposer les yeux du spectateur. Ce match, modèle à la fois de concentration et de puissance, permet à Kubrick "une réflexion sur la violence humaine, à travers la figure emblématique du boxeur qui trouvera sans cesse de nouveaux avatars (gladiateurs, Droogs, Alex, duellistes, soldats...)" (3).
(1) Série de photos intitulée "Prizefighter Walter Cartier" pour le magazine Look en 1949.
(2) Day of the Fight, documentaire de 16 minutes, tourné en 1951.
(3) Thomas Bourguignon, "Le Baiser du tueur", Positif, n° 388, juin 1993, pp. 66-67.