Un jour de fête dans une petite ville d’Espagne, Soledad reçoit la visite de ses deux prétendants: Real et Miguelan, liés par une très forte amitié et par les mêmes sentiments amoureux envers l’ancienne danseuse. Amusée et indifférente, Soledad leur soumet l’idée d’un duel pour les départager. Ils acceptent de mesurer leur force. Pendant ce temps, elle suit le jeune Juanito à la fête et, se remémorant les belles années de sa jeunesse passée, danse et s’enivre avec lui toute la nuit.
- Titre original : La Fête espagnole
- Genre : Drame
- Année de production : 1919
- Année de sortie d'origine : 1920
- Date de sortie en France : 31 mars 1920
- Format d'origine : 35
- Métrage d'origine : 1671 m
- Visa d'exploitation : 25584
- Réalisateur : Germaine Dulac
- Scénariste : Louis Delluc
- Société de production : Les Films Louis Nalpas
- Producteur : Louis Nalpas
- Distributeur d'origine : Union-Eclair
- Directeur de la photographie : Paul Parguel
- Décorateur : Gaston David
- Régisseur : Lucien Pinoteau
- Interprètes : Ève Francis (Soledad), Gaston Modot (Réal), Jean Toulout (Miguélan), Robert Delsol (Juanito), Anna Gay (la vieille Paguien)
Il ne subsiste qu’un fragment noir et blanc, sans intertitres, de 171m (sur 1671m à l’origine), sauvegardé en 1948 à partir d’un fragment du négatif nitrate, puis tiré en 1970 à partir du contretype sauvegardé. Il s'agit du seul élément connu et sauvegardé à ce jour.
Informations techniques sur les copies
Année du tirage | Procédé image | Version | Métrage | Cadence | Minutage | Format |
---|---|---|---|---|---|---|
1970 | Noir et blanc | 175 m | 18 i/s | 8 min | 35 |
Projections notables (avec accompagnement musical)
Date de projection | Lieu | Accompagnement musical | Commentaire |
---|---|---|---|
2012-12-01 | Cinémathèque française | Festival Toute la mémoire du monde |
Après avoir provoqué l’élan d’un mouvement critique et cinématographique porté par ses écrits dans Film puis dans la rubrique cinéma de Paris-Midi, soutenu des cinéastes comme Abel Gance, Marcel L’Herbier et Germaine Dulac, Louis Delluc s’attaque dès l’été 1917 à l’écriture d’un scénario. Visiblement inspiré d’un ancien projet de pièce de théâtre, drame en deux tableaux intitulé La Nuit basque, il établit une première version pour le cinéma sous le titre Le Fandango, qui deviendra La Fête espagnole.
Ève Francis a déjà tourné deux films avec Germaine Dulac[1]. «Un beau dimanche de repos, raconte la cinéaste, mon interprète Ève Francis me demande l’autorisation d’amener au studio son fiancé. Et je vis arriver un grand jeune homme dégingandé, vêtu d’un habit militaire plus que fantaisiste: c’était Louis Delluc… Je me souviens qu’un soir, au retour d’une vision d’Âmes de fous, Louis Delluc m’emmena au café de La Régence. Ce jour-là, la Bertha était harcelante pour les pauvres parisiens: «J’ai fait ceci, me dit-il, cet après-midi, derrière le dos de mon intendant au bureau militaire.» Et dans l’accompagnement des coups sourds de la Bertha, devant un verre de porto, Louis Delluc me lut La Fête espagnole.[2]» Encore mobilisé, Delluc confie la réalisation de son film à Germaine Dulac dont il apprécie l’œuvre pour sa sensibilité et son intelligence.
Louis Nalpas accepte de produire le film à condition que le tournage ait lieu à Nice, où il est installé. Les scènes, censées se dérouler en Espagne, sont tournées à la lumière naturelle et dans la chaleur du mois d’août 1919, dans des décors construits en plein air dans le jardin de la Villa Liserb[3]. Quelques plans sont également tournés au pays basque espagnol, près de Fontarrabie. Delluc ressent très tôt un véritable attrait pour la corrida et le pays basque. Il fait d’ailleurs référence à la lumière et à l’atmosphère fiévreuse et sensuelle de la région ibérique dans plusieurs de ses films (à commencer par La Fête espagnole mais aussi Le Chemin d’Ernoa) ou projets de films.
Ève Francis interprète le rôle de Soledad aux côtés de Jean Toulout, Gaston Modot et Robert Delsol. Lors d’une des réunions de la Commission de recherches historiques organisées par Henri Langlois à la Cinémathèque française, Jean Toulout raconte: «La première fois que j’ai eu l’impression d’un scénario vraiment génial, c’est quand j’ai lu La Fête espagnole. Ce scénario était écrit à la fois d’une façon littéraire, et en suivant les images, chaque phrase correspondait à une image, chaque ligne était une image, il se déroulait à la lecture comme il pouvait se dérouler à l’écran. C’était une conception purement cinématographique et littéraire.[4]» Les propos d’Ève Francis confirment cette méthode stylistique : «Jamais drame cinématographique n’avait été rédigé avec une telle concision. Chaque plan était réglé par une seule phrase. Il y avait 217 plans dont le mouvement s’accélérait comme un vertige jusqu’à la fin.[5]» En effet, ce drame cinégraphique[6] se présente sous la forme d’une série de phrases exposant de manière précise l’atmosphère souhaitéepour chaque plan :
148- Le visage de Soledad. Ombre de tristesse. Elle se sent seule dans la vie. Mélancolie facile de fin de dîner.
149 – Juanito se met à rire.
150- Soledad, nerveuse, rit aussi. Elle boit.
151- Le picador se saoulant à une autre table. Il brutalise la poitrine d’une grosse fille qui est en face de lui. Elle lui crache à la figure.
152- Un couple dans la même salle. L’homme enlace la femme et lui parle dans le cou.
153 – Un vieux jouant de la clarinette.
154 – Un autre vieux répugnant cajole une adolescente qui mange à s’étouffer, la pauvre!...
155 – Soledad pose sa main sur le poignet de Juanito, il semble ne rien sentir.
Delluc assiste à une partie du tournage mais surtout à l’étape capitale du montage. Pour Henri Langlois, «de cette collaboration Dulac-Delluc naissait un film sans précédent, un film qu’on ne peut lire. Il faut l’avoir vu pour comprendre ce qu’il doit à cette collaboration et à l’art musical du montage de Germaine Dulac. C’est la multiplicité des plans qui fait son unité; ils sont encore très simples et sans recherches d’angles. Ils se déroulent à une cadence rapide. Ils passent sans s’attarder et c’est cela cette façon de revenir sur certains leitmotiv sans y paraître, cette façon d’isoler et d’encercler les personnages avec une corrida, avec un paysage, des couples de danseurs tantôt en contrepoint et tantôt au contraire en renforcement des héros, qui fait monter l’émotion. Supprimez les sous-titres. Germaine Dulac, comme Gance, montait leurs films sans sous-titres: cette retenue, cette concision dans la rapidité, cette musicalité suggestive du montage ne vous évoquent-elles rien?Dès La Fête espagnole, au-delà de La Chanson du rail et la fête foraine de Cœur fidèle, on aperçoit l’Odessa de Potemkine et je dirais même que la pauvreté du moyen donne à La Fête espagnole une concision qui rend le rapprochement plus sensible; ainsi notre avant-garde menait à Potemkine et le génie d’Eisenstein a pu prendre tout son essor grâce au support de ces travaux.[7]»
La Fête espagnole est donc un film d’atmosphère. L’attention est davantage portée aux lieux et aux paysages, aux gestes et aux visages, à l’origine d’émotions les plus contrastées, qu’à l’intrigue elle-même. C’est une peinture vivace et concrète élaborée par touches et par impressions. Les rares images qu’il reste du film se révèlent d’autant plus singulières, envoûtantes et poétiques qu’elles sont les ultimes fragments de cette mélancolique tragédie. Soledad est une femme violement sensuelle et nostalgique qui noie son ennui dans la séduction. Pendant qu’elle s’abandonne passionnément dans les bras de Juanito, elle entraîne, par indifférence et par mépris, ses deux prétendants dans une lutte brutale et funeste. Germaine Dulac réussit à traduire le tableau d’émotions savamment écrit par Louis Delluc grâce à une mise en scène tout en mouvements, lumières et ombres, relevée par un pertinent montage parallèle. Selon Delluc, ce film est «un des rares exemples de collaboration complète dans le cinéma français. Auteur, metteur en scène, interprètes se sont accordés, de par leurs affinités précises et leur volonté de travail, pour chercher la réalisation absolue du thème choisi. L’outillage des films français ne facilite pas pleinement de telles tentatives. C’est pourquoi un film consacré à la synthèse même des éléments photogéniques les mieux choisis aura l’air moins «au point» que beaucoup de petits drames d’écran composés au hasard. Il n’en reste pas moins visible que l’orchestration des moyens divers de l’écran – pensée, action, matière, lumières, visages, etc. – est un art aigu, subtil et infini, où chaque recherche technique, sensuelle, ou cérébrale concourt à la vie – rythme, puissance, ligne, cadence – d’un tout[8]».
Le film est présenté à la presse le 17 mars 1920 et sort en salle le 4 mai. En dépit d’un timide accueil de la part du public, il reçoit une critique plutôt favorable, notamment en raison des qualités du scénario (visiblement plus que pour la réalisation de Germaine Dulac[9]). «La Fête espagnole, malgré ses «défauts techniques», eut une action stupéfiante sur les cinéastes d’alors, explique Ève Francis. Le mouvement accéléré de ce drame synthétique, nimbé de poésie, était une nouveauté sans exemple.[10]» Philippe Soupault est ébahi et décrit ainsi le film : «La grande rage qui plane au-dessus des nuages et qui laisse dans son sillage une odeur de sang, se pose un instant sur l’épaule d’une femme. Le soleil éclate dans l’air. Il fait rouge. Le soir descend et les éclairs sont des reflets de la lune sur les coteaux. Qu’importent après tout ces râles et ces cris de gens qu’on ne connaît plus. Il y a le regard d’un homme si fort qu’il peut vous emporter dans ses bras au bout du monde. Madame Ève Francis, d’un geste ou d’un regard, sait soulever la colère, la haine, la joie et l’amour. Nous ne pouvons oublier ce sourire lointain comme la fumée.[11]»
Samantha Leroy
[1] Âmes de fous en 1917 et Le Bonheur des autres en 1918.
[2] Propos rapportés par René Jeanne, Du journal à l’écran, Ciné-club n°6, mars 1949, p.5
[3] Les Studios de la Victorine sont encore en construction.
[4] Compte rendu de la réunion de recherches historiques du 24 janvier 1948, archives Cinémathèque française.
[5] Ève Francis, Celui qui a donné l’élan, Les nouvelles littéraires, 19 mars 1964
[6] Louis Delluc, La Fête espagnole, in Drames de cinéma, Ed. du Monde Nouveau, Paris, 1923
[7] Henri Langlois, L’avant-garde française, Les Cahiers du cinéma n°202, juin-juillet 1968, p. 17
[8] Louis Delluc, texte publié dans sa rubrique de Paris-Midi le 4 mai 1920, in Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l’étoile / Cahiers du cinéma, Paris, 1990, p. 27
[9] Deux ans après la sortie du film, Delluc s’exprime de manière plus mesurée: «La Fête espagnole était une jolie intention pittoresque. Elle restera en somme à l’état d’intention, malgré la bonne volonté des exécutants. On en a copieusement parlé. Alors c’est que l’intention en valait la peine. Rien de plus. On recommencera». Excelsior, 2 juin 1922, cité dans Ecrits cinématographiques III, Op. Cit, p. 26
[10] Ève Francis, Celui qui a donné l’élan, Les nouvelles littéraires, 19 mars 1964
[11] Philippe Soupault, La Fête espagnole par Louis Delluc, Littérature n° 14, juin 1920, p. 52
Autour du film
Louis Delluc, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.
Philippe Soupault, "La Fête espagnole par Louis Delluc", in Littérature, n°14, juin 1920.
Catalogue Ciné Mémoire 1993, p140-141.
Autour de la réalisatrice
Fonds Germaine Dulac conservé à la Cinémathèque française
http://www.cineressources.net/repertoires/archives/fonds.php?id=dulac
Henri Langlois, "L'avant-garde française", in Les Cahiers du cinéma, n°202, juin-juillet 1968.
Autour de Louis Delluc
Henri Langlois, "L'avant-garde française", in Les Cahiers du cinéma, n°202, juin-juillet 1968.
Eve Francis, texte d'hommage rendu à Louis Delluc le 22 mars 1964 à la Cinémathèque française, Palais de Chaillot.
Louis Delluc, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.
Pierre Lherminier, Ecrits cinématographiques III, Drames de cinéma, Cinémathèque française et Editions de l'étoile/ Cahiers du cinéma, Paris, 1990.
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